La femme hémorroïsse et la fille du notable (Mt 9,18-26)

Parallèles : Mc 5,21-43 | Lc 8,40-56

De Marc à Matthieu

On ne peut s’empêcher de comparer ce passage avec celui de Marc (Mc 5,21-43). On y observe la même double scène, deux récits enchâssés : le retour à la vie d’une jeune fille et la guérison d’une femme souffrant d’hémorragies. Le vocabulaire et certaines expressions sont identiques. Mais, le notable anonyme de Matthieu est, chez Marc, un chef de la synagogue nommé Jaïre et le récit se situe sitôt le retour de la Décapole. Le contexte aura ici son importance.

De même, Matthieu ne fera nullement mention des spectateurs privilégiés Pierre, Jacques et Jean. L’une des plus grandes différences entre les deux versions tient surtout à l’état de la fille de ce notable qui est déjà morte dans ce récit de Matthieu lorsqu’elle n’est qu’au plus mal chez Marc. L’irruption de la femme au milieu de la foule ne viendra donc pas mettre en cause l’urgence apparent de la situation. Bref, malgré des similitudes évidentes, la version de Matthieu met en avant d’autres points d’insistance.

Ma fille est morte (9,18-19)

9 ,18 Tandis que Jésus leur parlait ainsi, voilà qu’un notable s’approcha. Il se prosternait devant lui en disant : « Ma fille est morte à l’instant ; mais viens lui imposer la main, et elle vivra. » 19 Jésus se leva et le suivit, ainsi que ses disciples.

L’Époux et le vin nouveau

L’épisode inaugure une série de cinq guérisons en trois récits. Une jeune fille et une femme hémorroïsse (9,18-26), deux aveugles (9,27-31) et un sourd-muet (9,32-34). Ils servent en quelque sorte de transition puisque les versets et chapitres suivants vont s’adresser davantage aux disciples et apôtres. Comme je l’ai fait remarqué, le contexte chez Matthieu est différent et important.

Tandis que Jésus leur parlait… Avec cette remarque Matthieu fait en sorte que le lecteur fasse le lien entre cet épisode et ce qui précède. Contre les doutes des disciples du baptiste, et des pharisiens, Jésus se présentait comme l’Époux des noces eschatologique. Le vin nouveau, les outres neuves annonçaient le temps d’une véritable nouveauté.

Résurrection de la fille de Jaïre, Ilia Répine, 1900

L’appel de Jésus

La demande du notable, dans son cri de foi, montre à quel point cette nouveauté s’exprime : la victoire attendue sur la mort. Le récit de cette guérison vient comme en écho, en inclusion, avec la vocation de Matthieu. Ce dernier se leva et suivit Jésus à son appel, immédiatement. Ici, nous avons la même situation, mais de manière inverse. Un homme appelle. Jésus se lève, avec ses disciples, et le suit.

Il y a ainsi comme un dialogue entre Jésus-Christ et le peuple. Jésus appelle à le suivre de manière immédiate, comme lui-même répond sans hésiter au cri des siens. Un cri auquel pourtant nul homme ne peut prétendre répondre : viens lui imposer la main, et elle vivra. Mais ce drame qui apostrophe l’Époux ne saurait ternir la noce.

Jésus et la femme hémoroïsse, Saint Apollinaire, Ravenne, VI°s.

Et je serai sauvée (9,20-22)

9, 20 Et voici qu’une femme souffrant d’hémorragies depuis douze ans s’approcha par-derrière et toucha la frange de son vêtement. 21 Car elle se disait en elle-même : « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée. » 22 Jésus se retourna et, la voyant, lui dit : « Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée. » Et, à l’heure même, la femme fut sauvée.

Une autre parole de salut

Le verbe est répété ici trois fois. C’est dire si Matthieu veut qu’on l’entende. « Sauvée ! » Guérison et salut sont deux mots proches, mais une nuance et non des moindres les distingue. L’épisode sert ici de clef de lecture. L’action de l’Époux n’est pas de guérir, de restaurer une outre percée. Il s’agit bien d’insister sur le salut promis qui dépasse la seule guérison du corps. Il en est donc de même pour la fille du notable. Il ne s’agit pas de lui imposer les mains tel un guérisseur, mais de sauver, de donner vie nouvelle … et cela même aux vivants.

Résurrection de la fille de Jaïre, Gustave Doré, 1880

Un simple geste (9,23-26)

9, 23 Jésus, arrivé à la maison du notable, vit les joueurs de flûte et la foule qui s’agitait bruyamment. Il dit alors : 24 « Retirez-vous. La jeune fille n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. 25 Quand la foule fut mise dehors, il entra, lui saisit la main, et la jeune fille se leva. 26 Et la nouvelle se répandit dans toute la région.

Une vie répandue

Matthieu donne moins de détail que Marc. Il va à l’essentiel. Ici, Jésus a bien de l’audace en arguant qu’elle dort. La mort de la jeune fille est comparée à un sommeil, une mort passagère. Il ne s’agit pas d’un constat médical. Le père l’a annoncé et la liturgie du deuil a déjà commencé. Pour l’entourage, la mort a vaincu.

Mais avec Jésus, elle n’a pas le dernier mot. Ici, il interrompt la liturgie du deuil et surtout les doutes et les moqueries. Il répond à l’appel et à la foi du notable, comme il a répondu favorablement à la femme malade. Le geste est banal et délicat à la fois : une main saisie. Cela suffit pour que Jésus relève et donne vie. Le bruit coure, la nouvelle se répand, évidemment. Car tout est nouveau, et cette (bonne) nouvelle-là est déjà une parole de vie qui se répand. Qui peut relever d’entre les morts ? Et d’autres vies, d’autres obscurités, d’autres silences attendent son salut.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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