Parallèles : Mc 12,18-27 | Lc 20,27-38
Les pharisiens étant sortis, un autre groupe religieux s’avance et non des moindres : les sadducéens, parti de l’aristocratie sacerdotale du Temple en charge de son gouvernement. Pourtant ce n’est pas sur le plan cultuel, ni même politique, que Matthieu les situe. Leur intervention concerne la résurrection des morts, question très débattue à l’époque.
Cela est même paradoxal. En effet, les sadducéens interrogent Jésus sur une croyance qui concerne l’opinion des pharisiens. Et inversement la question des pharisiens auraient pu être destinée aux sadducéens liés au pouvoir romain. Jésus serait-il sommé de choisir un camp ?
Des sadducéens (22,23-28)
22, 23 Ce jour-là, des sadducéens – ceux qui affirment qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent : 24 « Maître, Moïse a dit : Si un homme meurt sans avoir d’enfants, le frère de cet homme épousera sa belle-sœur pour susciter une descendance à son frère. 25 Il y avait chez nous sept frères : le premier, qui s’était marié, mourut ; et, comme il n’avait pas de descendance, il laissa sa femme à son frère. 26 Pareillement, le deuxième, puis le troisième, jusqu’au septième, 27 et finalement, après eux tous, la femme mourut. 28 Alors, à la résurrection, duquel des sept sera-t-elle l’épouse, puisque chacun l’a eue pour épouse ? »
Ceux qui affirment qu’il n’y pas de résurrection
En décrivant d’abord les sadducéens comme ceux qui ne croient pas à une résurrection des morts, Matthieu les place en adversaires des pharisiens lesquels attendaient un salut pour les justes dans la vie éternelle ou une résurrection des morts au Jour du Seigneur. Pour les sadducéens, dont la foi s’appuyait sur les livres de Moïse (la Torah ou pentateuque), rien dans ces Écritures ne laisse entendre une telle espérance.
Il en était autrement pour le parti pharisiens pour qui Dieu ne peut laisser les justes dans la mort et l’oubli, et les fera revivre. Rejoignant la croyance populaire, ils s’appuient sur les livres des prophètes comme Ézéchiel Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. (Ez 37,1-6)1 ou encore sur les livres des martyres d’Israël Puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle (2M 7,9 ). La résurrection de Jésus apportera un tout autre éclairage, bien différent de celui des pharisiens. Voilà peut-être un autre enjeu du récit : donner déjà à entendre et comprendre le sens de la résurrection en Christ.
Une parabole casuistique
Le cas de cette femme aux sept maris veut montrer l’incohérence supposée de la croyance en la résurrection. Les sadducéens souhaitent ainsi démontrer qu’une hypothétique résurrection finale est contradictoire avec le dessein de Dieu révélé par ses lois qu’Il donna à Moïse. Bien évidemment l’histoire de cette femme qui, selon la loi du lévirat (Dt 25,5-6) doit épouser sept frères successivement, est en lui-même assez improbable et ressemble fort à une parabole. La succession des sept maris souligne d’abord leur fidélité à la loi du lévirat, en cela on peut les considérer comme des hommes justes. Mais leur résurrection éventuelle poserait davantage de problèmes qui ne sont pas tous ici développés.
Mais nous pourrions aussi mettre en parallèle, cette sorte de parabole, avec l’injonction de Jésus sur le mariage : ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! (19,6).
Dès lors, la parole de Jésus sur le mariage est-elle en cohérence avec la foi en la résurrection de sept maris ?
Les Écritures (22,29-33)
22, 29 Jésus leur répondit : « Vous vous égarez, en méconnaissant les Écritures et la puissance de Dieu. 30 À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel. 31 Et au sujet de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce qui vous a été dit par Dieu : 32 Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » 33 Les foules qui l’avaient entendu étaient frappées par son enseignement.
Comme des anges
Jésus dénonce dans un premier temps la confusion des sadducéens (et sans doute aussi de certains pharisiens) entre résurrection et retour à la vie comme une simple mécanique de retour à un tout-comme-avant. Or les paroles de Jésus laissent entrevoir un tout-autrement où les relations ne sont un simple calque des engagements de l’ici-bas. Jésus n’en dit pas plus et Matthieu ne développera pas davantage sinon par l’expression comme les anges dans le Ciel. Ces êtres célestes à propos desquels les pharisiens ont développé une angélologie particulière et détaillée. Jésus renvoie nos sadducéens à leurs premiers contradicteurs, mais surtout il ouvre ce débat au domaine céleste et à l’action divine sans s’attarder sur une modalité qu’exprime ce comme (des anges).
Abraham, Isaac, Jacob & Moïse
Jésus souligne leur méconnaissance des Écritures. Il cite bien à propos non un verset tiré des prophètes ou des livres de martyres d’Israël (cf. supra) mais un passage de la Torah elle-même, seul corpus reconnu par les sadducéens. Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob (Ex 3,6). Cette phrase est prononcée par le Seigneur à Moïse lors de l’épisode du buisson ardent. Le contexte est donc celui d’une libération, d’une pâque annoncée, une victoire sur la mort et le mal. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays (Ex 3,8). La résurrection est de l’ordre du mystère pascal. Mais elle tient aussi à l’Alliance que Dieu a conclue avec son peuple à travers Abraham, Isaac et Jacob, sans oublier Moïse.
Aux remariages successifs et impossibles de la femme Jésus oppose la fidélité de Dieu dans l’Alliance et cela donc en dépit de la mort. A leur méconnaissance des Écritures, jésus ajoute la méconnaissance des sadducéens quant à la puissance créatrice de Dieu.
Dieu des vivants
Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Jésus reprend ici un argument qu’aurait pu faire valoir un sadducéen opposé à la résurrection. Dans cette logique, il ne peut y avoir de résurrection puisque le Seigneur est un Dieu pour les vivants, qui s’adresse à des vivants. L’argument est ici retourné : s’Il est le Dieu des vivants, c’est qu’il ne laisse pas les siens dans mort. Ce Dieu de l’alliance et de la vie se présentait dans le passage du buisson ardent, comme Je suis/serai. Moïse dit à Dieu : «Si les fils d’Israël me disent : Quel est son nom ? – que leur dirai-je ? » Dieu dit à Moïse : « JE SUIS QUI JE SERAI . » Il dit : « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : JE SUIS m’a envoyé vers vous » (Ex 3,13).
Ce JE SUIS divin rend compte de la puissance de ce Dieu qui fait tout exister, tout être en vue d’un salut. La conception de la résurrection n’est donc plus basée sur la Loi ou les œuvres justes, mais sur l’action unique de Dieu créateur et sauveur.
- D’autres passages servent aussi leur espérance en une résurrection finale comme Is 26,19 Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront. ↩︎