10ème dim. ord. (C)
Ce récit du retour à la vie d’un enfant est propre à l’évangéliste Luc et intervient à la suite la guérison de l’esclave du centurion. Ces deux récits ne sont pas sans lien.
On essaiera d’éviter le mot résurrection et le verbe ressusciter qui, dans notre langage, sont associés à la résurrection du Christ ou à celle des morts, avec ce caractère eschatologique et définitif. L’enfant de la veuve, comme aussi Lazare (Jn 11,41-46) et la fille de Jaïre (Lc 8,49-56 et parallèles) sont momentanément revenus à la vie dans leur condition humaine et connaîtront encore la mort. Aussi, on préféra l’expression retour à la vie ou le terme revivification.
La mort d’un fils unique (7,11-12)
7, 11 Par la suite, Jésus se rendit dans une ville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu’une grande foule. 12 Il arriva près de la porte de la ville au moment où l’on emportait un mort pour l’enterrer ; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule importante de la ville accompagnait cette femme.
Un récit unique
Si la péricope est propre à Luc, elle est également la seule à mentionner le village de Naïm (ou Naïn, Ναῒν). On ne trouve, effectivement, nulle trace de cette localité, dans la Bible ou d’autres écrits antiques. Au sein de ce contexte, se situant en Galilée, elle pourrait être identifiée à la petite bourgade de Nein, au sud-est de Nazareth et distant de 10km. Le nom Naïm n’est pas sans évoquer, par assonance, le nom de Naaman (en grec Naïman, Ναιμάν), l’officier syrien lépreux, guéri par Élisée, et cité par Luc lors du discours de Jésus à Nazareth (4,27). Dans ce même discours, Jésus prend également pour exemple la présence d’Élie auprès d’une veuve, à Sarepta ; épisode du livre des rois, dans lequel l’enfant de cette femme revient miraculeusement à la vie (1R 17,17-24).
De la revivification à la résurrection
Dans le cycle d’Élie, le prophète, fuyant la famine, est hébergé par une veuve et son fils unique, à Sarepta, dans la région de Sidon. La mort soudaine de l’enfant déchire le cœur de la mère qui s’interroge quant à l’inaction, ou la sanction, du dieu d’Élie. La revivification de l’enfant, par l’intercession du prophète, permettra de reconnaître la grandeur du Dieu d’Israël. Effectivement, comme dans le passage du cycle d’Élie, la péricope de Luc met en scène une veuve et son fils unique décédé, suivi de son retour à la vie par l’intervention d’un homme de Dieu. Cependant, l’épisode n’a pas lieu en terre étrangère. Luc se distingue du récit d’Élie mais, en évoquant subtilement cet épisode, il permet au lecteur de reconnaître en la présence de Jésus, par cet acte de revivification, l’avènement des temps derniers, annoncé avec le retour d’Élie (Ml 3,23).
De même, par anticipation, le récit comporte des éléments liés à la passion et à la résurrection du Christ. Le mort est conduit vers l’extérieur de la ville, comme Jésus sera crucifié hors de la ville. De même, la foule qui suit la procession mortuaire évoque, notamment, ces femmes de Jérusalem à qui Jésus invitera également, comme la mère de l’enfant, à ne pas pleurer : 23,28 Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants !
Ainsi le récit évoque à la fois l’avènement des temps derniers mais aussi la passion du Christ. Mais ces parallèles ne doivent pas effacer l’originalité du récit de Luc.
Le drame
Luc insiste sur le drame qui n’est pas seulement celui de la veuve, mais de tout le village comme l’indique la présence d’une foule importante accompagnant cette femme. Le drame est intense pour la femme qui, veuve, vient de perdre à la fois son avenir, son bâton de vieillesse, et voit la lignée de son feu mari s’éteindre. Une veuve est en deuil d’un enfant unique et orphelin. Ces deux catégories : la veuve et l’orphelin, sont celles que la tradition biblique associe aux plus nécessiteux, avec les étrangers et les lévites, et parmi les démunis. La scène fait ainsi rencontrer Jésus avec les plus pauvres (4,16-21) dans une situation des plus dramatiques et définitives qu’est la mort la plus injuste. Avec Jésus et la veuve, deux foules se croisent : celle du sauveur, annonçant la bonne nouvelle avec ses disciples, et celle éplorée du village de Naïm.
Lève-toi ! (7,13-15)
7, 13 Voyant celle-ci, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle et lui dit : « Ne pleure pas. » 14 Il s’approcha et toucha le cercueil ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. » 15 Alors le mort se redressa et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère.
Retour à la vie
Jésus s’adresse, non à la foule qui accompagne la mère, ni à celles et ceux, nombreux, qui le suivaient. Les versets précédents insistaient sur leur présence. Pourtant, la scène du miracle est des plus intimes. Jésus ne s’adresse qu’à la mère pour qui il fut saisi de compassion. Cette dernière expression pourrait être traduite, de manière plus littérale, par être remué jusqu’aux entrailles. Ce n’est donc pas de la simple pitié ou de la compassion de circonstance. Jésus, face à la mort injuste que subit cette veuve, est véritablement bouleversé. Jésus est face à l’injustice du drame et son autorité de Fils de Dieu n’enlève en rien sa capacité à compatir à la tragédie humaine. L’expression permet de souligner combien, pour Jésus, la mort n’est pas rien, elle demeure de l’ordre du drame inacceptable.
L’attitude de Jésus rejoint ainsi la miséricorde de Dieu envers son peuple que les Écritures mettent en avant : Ex 3,7 Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Ainsi, Jésus, en voyant la mère en deuil, est pris de compassion. En cet évangile, ce verbe être saisi de compassion (ou être pris aux entrailles, splagxizomai σπλαγχνίζομαι) sera attribué au bon samaritain se penchant sur l’homme laissé pour mort (10,33), au père voyant revenir, vivant, son fils prodigue (15,20). L’attitude est ainsi, chez Luc, toujours associé à un retour à la vie.
Arrêter et vaincre la mort
La scène du miracle est décrite, succinctement, en plusieurs phases. D’abord, Jésus annonce son action de vouloir mettre fin au deuil, sans en dire plus : ne pleure pas. La phrase vient illustrer l’aujourd’hui de la bonne nouvelle du royaume : 6, 21 Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.
Dans un second temps, Jésus s’approche et arrête le cortège funèbre en touchant le cercueil. Luc s’appuie sur les rites funéraires grecs durant lesquels, après avoir été exposé, le corps est mis en bière (et non dans un linceul comme dans la tradition juive) pour être porté, hors de la ville, dans le cimetière. Là, le corps est soit incinéré, si l’on est riche, ou inhumé pour les populations ne pouvant s’offrir le bois nécessaire. Le fait de toucher le cercueil n’est pas un geste lié au miracle. Le seul but est de mettre fin au rite de deuil. Les porteurs s’arrêtent.
Ce n’est que dans un troisième temps que se déroule le miracle en lui-même. Jésus, toujours par sa parole, ordonne au jeune homme de se lever, se réveiller (égeiro, ἐγείρω). Ce verbe sera aussi celui de la résurrection du Christ (24,6.34). Une fois encore, comme précédemment (7,6-8), la parole de Jésus est celle qui redonne vie.
L’accomplissement du miracle, suit également un triple mouvement. À la parole de Jésus, lève-toi, le jeune homme se redresse, signe d’un relèvement. Puis, il se met à parler, signe d’un véritable retour à la vie humaine, et est redonné à sa mère, signe d’une justice rétablie, au sein du peuple, en cet aujourd’hui du royaume.
La crainte s’empara de tous (7,16-17)
7, 16 La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu en disant : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. » 17 Et cette parole sur Jésus se répandit dans la Judée entière et dans toute la région.
Dieu a visité son peuple
Comme toujours, les récits de miracles se concluent par la réaction des témoins. Désormais, les foules reconnaissent, d’abord, en Jésus, l’action de Dieu à qui ils rendent gloire. Par la parole du Christ, Dieu a manifesté sa justice. En lui, s’accomplit la promesse de la venue d’un grand prophète inaugurant la visitation de Dieu, attendue aux temps derniers, tel Élie annoncé en Ml 3,23, ou un prophète tel Moïse selon Dt 18,15. Dans ces quelques versets, la présence de Jésus est associée à l’avènement du temps messianique. Cet avènement est souligné par la mention de la visitation qui exprime, dans la tradition biblique, une intervention durable et salvatrice, de Dieu en faveur des siens. Ainsi Sara (Gn 21,1) et Anne (1S 2,21) bénéficiaires de l’intervention (visitation) du Seigneur pour mettre fin à leur stérilité et donner naissance à l’hériter d’Abraham, Isaac, et au prophète Samuel. Ce même verbe, visiter (episképtomai, ἐπισκέπτομαι), est également utilisé pour exprimer l’intervention décisive qui libéra les hébreux de l’oppression égyptienne (Gn 50,25 ; Ex 3,16 ; 4,31).
Le miracle de Naïm exprime, non pas seulement retour à la vie d’un enfant, mais, comme le chante la foule, l’avènement du règne de Dieu. La place de ce récit, situé après la guérison du serviteur du centurion, accentue cette interprétation. Ce duo centurion-veuve renvoie au duo veuve-Naaman et permet d’éclairer la figure prophétique et messianique de Jésus dans l’annonce de la bonne nouvelle. De même, ce récit, propre à Luc, sert à illustrer le passage suivant (7,18-35) avec l’interrogation de Jean le baptiste, qui, lui, semble avoir de la difficulté à associer la présence de Jésus à la venue du royaume de Dieu.