Parallèles : Mt 8,23-27 | Mc 4,35-41
Avec ce passage commence une série de voyages et de rencontres autour du lac. Le récit de la tempête apaisée nous embarque avec la communauté des disciples, dans une version épurée de celle de Marc (Mc 4,35-41).
Effectivement, par rapport à ce dernier, Luc ne place pas la scène explicitement un soir ; il ne mentionne ni d’autres barques, ni la place de Jésus à la poupe, sur des coussins. De même, dans son récit, nous n’entendons pas la voix de Jésus sur la mer et le vent (4,39 Silence, tais-toi !).
Passons sur l’autre rive (8,22-24)
8, 22 Un jour, Jésus monta dans une barque avec ses disciples et il leur dit : « Passons sur l’autre rive du lac. » Et ils gagnèrent le large. 23 Pendant qu’ils naviguaient, Jésus s’endormit. Une tempête s’abattit sur le lac. Ils étaient submergés et en grand péril. 24 Les disciples s’approchèrent et le réveillèrent en disant : « Maître, maître ! Nous sommes perdus ! » Et lui, se réveillant, menaça le vent et les flots agités. Ils s’apaisèrent et le calme se fit.
Passons sur l’autre rive
C’est aussi une autre différence avec les récits parallèles. En Marc, Jésus est emmené, embarqué par ses disciples (Mc 4,36). En Matthieu, les disciples suivent Jésus (Mt 8,23). Luc montre Jésus avec ses disciples, tel un équipage, uni, en résonance avec la notion de communauté et de famille évoquée précédemment. Cependant, Jésus est l’acteur premier scène : il monte et ordonne de passer sur l’autre rive, et ensemble, ils gagnent le large. La parole de Jésus évoque une situation missionnaire à laquelle les disciples, déjà embarqués, sont conviés. Une mission et une vie loin d’être de tout repos.
Jésus endormi
La tempête s’éveille lorsque Jésus dort. La barque et son équipage, en danger, devront leur salut au Christ. Le passage peut ainsi évoquer la vie postpascale des communautés chrétiennes, confrontées aux épreuves, alors que leur Seigneur, n’est plus présent physiquement au milieu d’eux, telle l’image de Jésus endormi. La scène invite alors à s’adresser à Jésus comme un vivant qui agit toujours pour les siens. Il demeure celui qui assure le salut de ses disciples. Mais peut-on réduire ce passage à une métaphore sur la vie ecclésiale à venir ? Le récit de la tempête apaisée permet également de revenir au thème de l’identité messianique de Jésus.
Il commande même aux vents et aux flots (8,25)
8, 25 Alors Jésus leur dit : « Où est votre foi ? » Remplis de crainte, ils furent saisis d’étonnement et se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour qu’il commande même aux vents et aux flots, et que ceux-ci lui obéissent ? »
Où est votre foi ?
Dans l’évangile de Marc, Jésus reprochait à ses disciples de ne pas avoir la foi : 4,40 N’avez-vous pas encore la foi ? Matthieu, quant à lui, soulignait davantage leur faiblesse : 8,26 hommes de peu de foi. Luc a préféré une autre formule : où est votre foi ? De quoi est-il véritablement question ?
Le mot foi (pistis, πίστις ) nous renvoie à des attitudes déjà rencontrées avec les personnes portant le paralytique (5,20 voyant leur foi) et, plus récemment, au centurion (7,9 même en Israël je n’ai pas trouvé une telle foi) et à la pécheresse pardonnée (7,50 Va ta foi t’a sauvée). Ces personnes ont mis leur foi en Jésus en faisant preuve d’une certaine audace reflétant leur foi en celui qui pouvait apporter un salut. Mais à ses disciples désespérés, perdus dans la tempête, Jésus demande où est leur foi ?
Dans le contexte immédiat, Jésus désignait ceux et celles qui l’écoutaient ses paroles et les mettaient pratique comme sa véritable famille. Ici, le récit permet de revenir au cœur et à la source de la foi : la personne même du Christ, accueilli comme unique sauveur. Le salut est en effet le thème de passage : maître, maître nous périssons. C’est une question de vie ou de mort que nous retrouverons dans les deux récits suivants. Ce sauveur se place dans ce réveillé, ce ressuscité qui écarte le danger. La question de Jésus : où est votre foi ?, constitue un appel à croire en ce salut qu’il apporte, y compris dans l’aujourd’hui des communautés chrétiennes se tournant vers le Ressuscité.
Qui est-il donc ?
Comme nous l’avions déjà remarqué, Jésus, par ses actes et ses paroles, ne cesse de susciter l’interrogation, depuis Nazareth (4,14 N’est-ce pas là le fils de Joseph ?), en passant par les pharisiens (5,21 Qui est-il celui-là ?), jusqu’à Jean le baptiste (7,19 Es-tu celui qui doit venir ?). Cette fois-ci, pour la première fois, ce sont ses propres disciples qui s’interrogent : Qui est-il donc… ?
A chaque questionnement des uns ou des autres, le récit ou le discours permet d’apporter une réponse. En soulignant sa maîtrise des vents et des flots, les disciples renvoient le lecteur à la figure divine du Créateur et du Sauveur. Plus précisément, l’association des mot vents (anémos, ἄνεμος) et flots (udor, ὕδωρ), maitrisés pour offrir un salut, évoque la Pâque des Hébreux conduits par Moïse :
Ex 14, 21 Moïse étendit le bras sur la mer. Le Seigneur chassa la mer toute la nuit par un fort vent d’est ; il mit la mer à sec, et les flots se fendirent.
Le geste de Jésus menaçant la mer en furie reprend-il celui de Moïse ? En ce cas, Jésus devient la figure messianique du nouveau Moïse attendu : Dt 18,15 Au milieu de vous, parmi vos frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez. Ou bien, soulignant que les eaux et les vents lui obéissent, les disciples associent-ils la figure de Jésus à celle du Créateur ayant tout pouvoir sur la vie et la création. Là est justement l’interrogation : qui est-il celui-ci ? Messie mosaïque ou bien messie autrement ? La question des disciples sera encore reprise, par Jésus, peu avant la transfiguration (9,18-36).