La graine et le levain (Lc 13,18-21)

Parallèles : Mt 13,31-33 | Mc 4,30-32 

Le passage suit immédiatement l’épisode de la guérison de la femme infirme. Il reprend le même schéma déjà vu lorsque Jésus s’exprime après l’admiration des foules, comme la tempérer.

Lovis Corint, Deposition de la croix, 1895

Règne, royaume et royauté

Avant de commencer le commentaire de passage, il convient de préciser une terminologie. Luc emploie deux paraboles pour faire comprendre le règne de Dieu. Parfois, les traductions (et moi-même) hésitent à traduire le mot grec basiliéïa, βασιλεία, par règne ou royaume ou, plus rarement, par royauté. Le mot recouvre ces trois sens. Le terme règne insiste davantage sur la notion de pouvoir, tandis que royaume est souvent associé à un espace géographique. Quant à la royauté, elle désigne un mode de gouvernance ou l’autorité royale. Le mot est présent 46 fois dans l’évangile de Luc1 et très majoritairement mis dans la bouche de Jésus ou associé à sa proclamation. Aussi, dans le contexte insistant, comme nous l’avons vu encore dernièrement, sur la délivrance, le mot règne est plus approprié. Le terme royaume est employé lorsqu’il désigne plus spécifiquement le champ d’action de Dieu ou de ses disciples qui entrent dans le royaume de Dieu ou pour le diable désignant à Jésus les royaumes de la terre (4,5). Règne, royaume et royauté de Dieu ne sont pas à opposer mais à entendre en fonction du contexte. Cependant, il recouvre une même réalité : l’avènement du Sauveur au sein de ce monde et sa victoire sur le mal.

A quoi le règne de Dieu est-il comparable ? (13,18-21)

13, 18 Jésus disait donc : « À quoi le règne de Dieu est-il comparable, à quoi vais-je le comparer ? 19 Il est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et jetée dans son jardin. Elle a poussé, elle est devenue un arbre, et les oiseaux du ciel ont fait leur nid dans ses branches. » 20 Il dit encore : « À quoi pourrai-je comparer le règne de Dieu ? 21 Il est comparable au levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. »

À quoi le comparer ?

Comme je le rappelais dans l’introduction, ces paraboles sont données à entendre à ce public de la synagogue qui se réjouit des actions éclatantes advenues avec Jésus (13,17), liées à l’avènement du règne de Dieu. Ce dernier s’imposera-t-il par les seuls miracles et paroles de Jésus au milieu des adversaires et de la contestation ?

Lors de la parabole du semeur (8,1-8), Jésus déclarait à ses disciples : 8,10 À vous il est donné de connaître les mystères du royaume de Dieu, mais les autres n’ont que les paraboles. Or, ici, pour la première fois, Jésus use, explicitement, de paraboles pour faire comprendre le règne de Dieu : à quoi le comparer ?

Les deux paraboles sont associées pour illustrer une même réalité, comme pour les métaphores des corbeaux et des lis (12,22-31) à propos de la prévenance de Dieu. Elles se situent dans des cadres différents : le champ et la maison, et mettent en scène successivement un homme et une femme. Il en sera de même pour les deux paraboles successives du berger et sa brebis retrouvée (15,1-7) et de la femme et sa drachme (15,8-11).

Levain

De la graine à l’arbre, du levain au pain

La première image utilisée montre une dynamique de croissance verticale. La petite graine de moutarde (ou sénevé) devient arbre les oiseaux du ciel font leur nid. L’image est belle mais a de quoi surprendre le lecteur. Une graine de moutarde ne donne qu’une plante de la taille d’un arbuste, et pourra à peine accueillir un nid. Même surprise pour la métaphore du levain. D’une part, le levain porte en lui, dans ce monde judéo-chrétien, un caractère négatif : il est considéré comme une impureté (12,1-3). Or, ici, il est placé volontairement dans la pâte. Mais ce qui peut davantage surprendre est la quantité des trois mesures correspondant à près de 40 litres de farine, de quoi nourrir de pain plus de cent personnes. Tout cela est-il bien réaliste ?

Le déploiement inattendu du règne

Le règne advient donc de manière inattendue en profusion : les oiseaux du ciel comme les trois mesures de farine, et cela à partir de ce qui paraissait inconséquent, comme une petite graine, ou impropre, tel le levain. Les actions éclatantes (13,17) ne sont pas dans l’immédiat des miracles, mais dans le déploiement du règne capable de transformer une graine en arbre, un levain en bons pains.

Ce déploiement dans le temps vient tempérer la joie présente de la foule (13,9). Si l’aujourd’hui du règne advient en Christ, il devra encore se déployer. Tout n’est pas acquis d’avance afin que beaucoup puissent se nourrir de son pain ou demeurer dans ses branches. Et comme le grain de moutarde jeté dans le jardin, comme le levain enfoui dans la pâte, Jésus marche, au milieu des siens, vers Jérusalem et sa Pâque. Le grain jeté et le levain enfoui, destinés à disparaître aux yeux pour révéler bien davantage en offrant refuge et nourriture abondamment, annoncent déjà la passion et la résurrection.

  1. basiliéïa, βασιλεία , Luc : 46 occurrences, Matthieu : 55 ; Marc : 20 ; Jean : 5 ↩︎
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