Parallèles : Mt 22,15-22 | Mc 12,13-17
Après la question de l’autorité de Jésus, ses opposants en viennent maintenant à l’interroger sur l’impôt dû à l’occupant romain. Ce deuxième débat se situe dans cette volonté de supprimer Jésus exprimée précédemment (19,47 ; 20,19).
Est-il permis, oui ou non (20,20-22)
20, 20 Ils se mirent alors à le surveiller et envoyèrent des espions qui jouaient le rôle d’hommes justes pour prendre sa parole en défaut, afin de le livrer à l’autorité et au pouvoir du gouverneur. 21 Ceux-ci l’interrogèrent en disant : « Maître, nous le savons : tu parles et tu enseignes avec droiture, tu es impartial et tu enseignes le chemin de Dieu selon la vérité. 22 Nous est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? »
Ils envoyèrent des espions
Le passage se situe dans la continuité du récit précédent. Il met en scène Jésus et ces grands-prêtres et scribes (20,19) qui se sont reconnus dans la parabole. Pourtant ces derniers ne se présentent plus directement à Jésus, préférant envoyer des espions se faisant passer pour des justes. Dans l’évangile de Luc, ce terme désigne Zacharie et Élisabeth (1,6), Syméon (2,25) et tous ceux et celles en accord avec le dessein de Dieu. Ironiquement, le texte souligne la fausseté des élites religieuses liées au Temple qui sont obligées de déléguer des personnes déguisées en justes. Ils jouent ce rôle d’hypocrites : en grec : upocrinomaï, ὑποκρίνομαι.
Avant de poser leur question, ils flattent Jésus sur son enseignement, reconnaissant, faussement, la droiture (ou l’orthodoxie) de ses paroles qui éclairent en vérité le chemin de Dieu. Cette dernière expression biblique renvoie à l’écoute et l’obéissance à la Loi : leur sujet portera sur ce qui est permis ou non, selon la Loi. Jésus est loué pour son impartialité : il ne fait acception de personne. Cette qualification est l’attribut même de Dieu (Dt 10,17 ; 2Ch 19, 7 ; Ac 10,34 ; Rm 2,11). Dans leur bouche cela sonne faux, mais aux oreilles du lecteur cela se révèle juste.
L’impôt à César
Jésus ayant la faveur du peuple suspendu à ses lèvres (19,48), ces émissaires tentent de le mettre en porte à faux vis-à-vis de l’occupation romaine et ses lourdes taxes. Ces dernières appauvrissaient le peuple. L’objectif est de discréditer Jésus, non pas aux yeux du peuple, mais du pouvoir en place. Puisque les émissaires des élites religieuses cherchent à faire arrêter Jésus, il en ressort que, selon eux, la réponse de celui-ci ira dans le sens du peuple. Si Jésus déclare qu’il ne faut pas payer l’impôt, dès lors il se rendra publiquement coupable de sédition (23,2) et livré aux autorités romaines. Si cette éventualité ne marche pas et que Jésus déclare qu’il faut payer les taxes romaines, alors il se discréditera aux yeux du peuple peu favorable à Rome. Leur interrogation est donc une question piège qui, également, interroge Jésus sur sa capacité à interpréter la Loi : est-il permis, oui ou non ? Or, à ce sujet, la Loi de Moïse n’apporte pas de réponse.
Rendez à César (20,23-26)
20, 23 Mais Jésus, percevant leur fourberie, leur dit : 24 « Montrez-moi une pièce d’argent. De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription ? – De César », répondirent-ils. 25 Il leur dit : « Alors rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » 26 Ils furent incapables de le prendre en défaut devant le peuple en le faisant parler et, tout étonnés de sa réponse, ils gardèrent le silence.
L’effigie et l’inscription
Comme précédemment, Jésus a compris le piège dans lequel on veut l’enfermer. Comme précédemment aussi, Jésus leur renvoie sa propre question. Il demande une pièce d’argent et lui montrent un denier (dènarion, δηνάριον ) frappé à l’effigie de l’empereur. Or, au sein de ce Temple, ces monnaies ne pouvaient servir à l’achat d’offrandes pour le sacrifice car comportant des mentions idolâtres (cf. Mc 12,13-17 ). Des changeurs permettaient de convertir ces monnaies en didrachmes, ou demi-shekels, seules autorisées. Alors que fait cette monnaie dans la main de gens qui se présentent comme des justes envers la Loi ? La présence de la pièce romaine, servant notamment à l’impôt, vient déjà de les discréditer.
César ou Dieu
À ses détracteurs, Jésus répond donc que cette pièce frappée à l’image de Rome doit revenir à Rome. Pour ainsi dire, il renvoie ces hypocrites, et Rome, hors du Temple. Car le paiement de l’impôt n’est pas seulement une question de comportement. Il revient à accepter ou se soumettre à une autorité politique : en l’occurrence César. Jésus proclame la Bonne Nouvelle du règne de Dieu (20,1) et devrait donc se prononcer contre le règne César. Or, explicitement, Jésus ne parle pas d’impôt : Alors rendez à César ce qui est à César. Il se situe sur un autre plan qui n’est pas celui de la domination ou du pouvoir mais du don, de la remise. Le règne de Dieu est tout autre que celui de César. Le verbe rendre ou remettre (apodidomi, ἀποδίδωμι ) est chez Luc, toujours associé à la miséricorde, à la guérison ou au pardon et à la remise des dettes (4,20 ; 7,42 ; 9,42 ; 10,35…). Il faut donc rendre à César, à la manière de Dieu et de la Bonne Nouvelle. À la domination par l’impôt, Jésus répond par la remise de soi et à cet abaissement développé durant l’évangile, exprimant ce qu’il faut rendre à Dieu :
6, 29 À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. 30 Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. […] 35 Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. 36 Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Jésus renvoie donc le lecteur et l’auditeur au sens même de la Bonne Nouvelle, et ses contradicteurs, tenant en main la pièce romaine, à leur hypocrisie. Face à l’autorité de sa parole, leur silence montre l’échec de cette tentative de le prendre en défaut. Un troisième débat attend maintenant Jésus et va concerner une question théologique.