Comparution devant Caïphe (Mt 26,57-68)

Parallèles : Mc 14,53-65 ; Lc 22,54-71; (Jn 18,13-27)

Dim. des Rameaux (A) Mt 26,14-27,66

Après l’arrestation, le récit se déplace avec Jésus dans la maison de Caïphe, le grand-prêtre. Jésus est, désormais, abandonné des siens, sinon Pierre qui le suit, mais à distance.

Mattias Stom, Christ face à Caïphe,1630

Devant Caïphe (26,57-58)

26, 57 Ceux qui avaient arrêté Jésus l’amenèrent devant Caïphe, le grand prêtre, chez qui s’étaient réunis les scribes et les anciens. 58 Quant à Pierre, il le suivait à distance, jusqu’au palais du grand prêtre ; il entra dans la cour et s’assit avec les serviteurs pour voir comment cela finirait.

Caïphe

Le procès se déroulera donc de nuit, chez Caïphe et non au Temple, dans la salle dédiée pour le sanhédrin (ou conseil suprême). Cela, même si ses membres : grands-prêtres, scribes et anciens sont présents à cet étrange procès. Les évangiles sont d’accord sur ce point. Seule la version de Luc (Lc 22,54-71) évoque, après cela, un passage à la salle du sanhédrin (22,66). Le procès, tel que le raconte Matthieu, se déroule, ainsi, de nuit et à l’écart du lieu fréquenté du Temple.

Le grand prêtre Caïphe exerça son pontificat de 18 à 37 : un temps très long pour l’époque durant laquelle le poste de grand-prêtre était décidé ultimement par le gouverneur romain. Ses liens avec Ponce Pilate, qui gouverna la Judée entre l’an 26 et 37, explique certainement la durée de son ministère. Mais tel n’est pas l’insistance du propos de Matthieu.

Alors que Jésus est emmené prisonnier chez Caïphe, Pierre suit de loin. Il est présent, tel un témoin visuel et distant au procès, et non comme témoin à décharge de son Seigneur.

Giotto di Bondone, Le Christ devant Caïphe, 1305

Faux témoins (26,59-61)

26, 59 Les grands prêtres et tout le Conseil suprême cherchaient un faux témoignage contre Jésus pour le faire mettre à mort. 60 Ils n’en trouvèrent pas ; pourtant beaucoup de faux témoins s’étaient présentés. Finalement il s’en présenta deux, 61 qui déclarèrent : « Celui-là a dit : “Je peux détruire le Sanctuaire de Dieu et, en trois jours, le rebâtir.” »

Chercher des faux témoins

Tout est faux et fallacieux. Non seulement le lieu (la maison de Caïphe), le moment (de nuit) mais l’organisation même du procès où l’on ne cherche que des faux témoignages pour avoir un motif d’accusation. Et même si beaucoup se présentent, aucun ne semble avoir un mensonge suffisamment sérieux pour être entendu. Car, tout procès nécessite, au minimum, deux témoins concordants pour une seule accusation. Matthieu décrit ce tribunal comme une véritable farce dramatique.

Rebâtir le sanctuaire de Dieu

On trouve donc, enfin, deux témoins qui rapportent une même accusation : Celui-là a dit : Je peux détruire le Sanctuaire de Dieu et, en trois jours, le rebâtir. Dans son évangile, Matthieu ne rapporte pas ces paroles soi-disant prononcées par Jésus. Là encore, tout est faux. De plus, ce témoignage n’a rien de répréhensible. Le Temple est toujours là et cette phrase ne peut accuser Jésus que de folie ou d’excentricité, venant d’un pseudo-prophète, comme tant d’autres. Cela ne mérite, habituellement, qu’un emprisonnement et une bastonnade.

Bien évidemment, l’accusation prononcée résonne de manière très différente aux oreilles du lecteur. D’une part, à son époque, le Sanctuaire est effectivement détruit depuis la révolte juive de 70, matée par les romains. Un tel motif pouvait alors être une moquerie à l’encontre des disciples de Jésus : si Jésus est leur Christ inaugurant le règne de Dieu, comment alors a-t-il pu laisser détruire le Sanctuaire, lieu de la présence de Dieu et adoré depuis Moïse, David et Salomon ? Bien évidemment, l’évocation des trois jours pour rebâtir un bâtiment qui a demandé plus quarante années de travaux apparait extravagant. Ce propos accusateur sera rappelé sur la croix (27,40). Mais là encore, Mathieu suggère au lecteur ce troisième jour de la Résurrection où Dieu manifeste sa présence agissante et la victoire de son Fils sur le mal et la mort. Le faux témoignage, souligné par Matthieu, permet, paradoxalement, d’annoncer le thème de la révélation de la présence même de Dieu, lors de la passion. L’évangéliste Jean est plus explicite à ce propos (Jn 2,19-21).

Jose de Madrazo, Jesus chez Hanne, 1803

Si c’est toi qui es le Christ (26,62-64)

26, 62 Alors le grand prêtre se leva et lui dit : « Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages qu’ils portent contre toi ? » 63 Mais Jésus gardait le silence. Le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu. » 64 Jésus lui répond : « C’est toi-même qui l’as dit ! En tout cas, je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir sur les nuées du ciel. »

C’est toi qui le dis

Le silence de Jésus vient révéler la fausseté des témoignages. Beaucoup ont été entendus, sans avoir une valeur judiciaire. Et la dernière fausse accusation offre, aux yeux du lecteur, un argument favorable pour le Christ Jésus, qui n’a donc pas à répondre. L’intervention du grand prêtre, Caïphe, montre la difficulté d’accuser Jésus. Il doit lui-même avancer un grief de poids, capable de condamner Jésus : Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si c’est toi qui es le Christ, le Fils de Dieu.

Paradoxalement, le grand-prêtre fait appel à Dieu pour établir une accusation qui se révèle vraie. Jésus répond de la même manière qu’à Judas lors de l’annonce de sa trahison : C’est toi qui le dis (su eipas, σὺ εἶπας 26,25.) Il renvoie le grand-prêtre, procureur d’un faux-procès, à la vérité de son propos, qui révèle, pour l’auditeur, l’identité de Jésus.

Le Fils de l’homme siéger

Dans la seconde partie de sa réponse, Jésus va plus loin que le grand-prêtre : il associe sa présence, non pas seulement à une identité messianique et royale (Christ et Fils de Dieu), mais aussi à son action. La Passion devient dès lors le lieu même où s’inaugure le jugement eschatologique du Fils de l’homme assis à la droite de Dieu, siège de son autorité. Au jugement du grand-prêtre, Matthieu, par la voix de Jésus, oppose celui de Dieu qui se manifestera depuis la croix jusqu’à la parousie.

Anonyme, Le Christ devant Caïphe, 1511

Il mérite la mort (26,65-68)

26, 65 Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, en disant : « Il a blasphémé ! Pourquoi nous faut-il encore des témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème ! 66 Quel est votre avis ? » Ils répondirent : « Il mérite la mort. » 67 Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent ; d’autres le rouèrent de coups 68 en disant : « Fais-nous le prophète, ô Christ ! Qui t’a frappé ? »

Déchirer ses vêtements

L’attitude du grand-prêtre, tel que le rapporte l’évangéliste, paraît pour le moins exagérée voire étrange. Le fait de déchirer ses vêtements est signe de deuil (Gn 37,29 …), ou, souvent, de désolation face à une injustice (Gn 44,13 ; Nb 14,6 ; Jos 7,6 ; 2R 22,1 ; Esd 9,3…). En la circonstance, le geste semble aussi faux que le procès en cours. De plus, de la part d’un grand-prêtre cette attitude est encore plus surprenante. En effet, le livre du Lévitique (Lv 10,6 ; 21,10) interdit à celui-ci de déchirer ses vêtements afin de manifester sa sainteté. Ainsi, tandis que Jésus, livré, prisonnier, révèle la vérité du règne de Dieu, le grand-prêtre, par cette mise en scène de l’évangile, révèle sa propre contradiction vis-à-vis de la Loi.

Il blasphème

Le texte nous surprend encore. Jésus est accusé de blasphème pour avoir affirmé être Christ, fils de Dieu et Fils de l’homme. En quoi cela est-il un blasphème ? En quoi cela mérite-t-il la mort ? Dans la Bible le verbe blasphémer est souvent utilisé pour l’outrage, l’insulte, notamment contre le nom de Dieu. Dans le livre du Lévitique, le blasphème peut conduire à une lapidation (Lv 24,11.16).

Mais, ici, on peut se demander en quoi Jésus a-t-il blasphémer et outrager le nom de Dieu ? L’accusation, une fois de plus, ne repose sur rien sinon sur la seule affirmation accusatrice du grand-prêtre.

Cependant, cette accusation de blasphème, dans l’évangile de Matthieu,  concerne surtout ces communautés chrétiennes accusées, par les autorités de la synagogue, de confesser ce Jésus de Nazareth, mort crucifié comme Christ et Fils de Dieu. Le procès de Jésus est, en quelque sorte, aussi le leur.

Jan Sanders van Hemessen, Le Christ moqué, 1560

Fais le prophète

Tout comme le silence de Jésus, les crachats et les outrages font écho à la figure du serviteur souffrant du livre d’Isaïe :

  • Is 50, 5 Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. 6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
  • Is 53, 7 Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche.

Jésus, pourtant Christ, fils de Dieu, Fils de l’Homme, est sans défense, se laissant outrager. Une telle attitude pourrait donner raison aux opposants : la faiblesse, et bientôt, la mort de Jésus, va à l’encontre de la représentation d’un Messie fort. En prenant appui sur la figure du serviteur souffrant d’Isaïe, Matthieu rappelle que, malgré (ou en raison de) l’humiliation de son Christ, Dieu manifeste la rédemption de son peuple :

Is 53, 11 Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes.

De même, les moqueries du sanhédrin rappellent, à ce sujet, la figure du prophète méprisé des hommes quoique serviteur de la Parole de Dieu. Dans la narration de Matthieu, Jésus ayant maintes fois annoncé, prophétiquement, sa passion et sa résurrection (16,21 ; 17,23 ; 20,19 ), le lecteur sait que Jésus accomplit le dessein de Dieu, en, tant que prophète et christ.

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