Parallèles : Mt 21,12-13 | Mc 11,15-17 | Lc 19,45-46
3ème Carême (B) Jn 2,13-25
Dédicace Latran (9 nov.) Jn 2,13-22
L’eau changée en vin à Cana nous avait introduit au premier des signes de Jésus, à l’occasion d’une fête nuptiale. De signe et de fête, il en sera encore question dans le passage suivant mais de manière inattendue.
Au Temple (2,13-14)
Jn 2, 13 Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. 14 Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs.
Jean et les synoptiques
Le récit est commun avec les évangiles synoptiques (Mt, Mc, Lc), tout en portant en lui des particularités, sur lesquelles nous reviendrons, comme la mention du fouet. L’originalité de ce récit provient également de sa place dans l’évangile johannique. Dans les évangiles synoptiques, l’épisode dit de « la purification du Temple » fait suite à l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, peu avant sa Passion. L’évangéliste Jean situe cette scène non à la fin mais au début du ministère de Jésus. Ce déplacement tient à une stratégie narrative.
Premières foi(s)
D’un point de vue historique, la plupart des exégètes, avec raison, souligne combien un tel geste a probablement contribué à la condamnation de Jésus quelques jours plus tard. Dès lors, si l’évangéliste Jean place cet épisode au début du ministère de Jésus, c’est sans doute à dessein. Au manque du mariage à Cana, comblé par Jésus, répond le trop plein du Temple qui sera, en quelque sorte, vidé de son superflu.
De même, le récit de la confrontation au Temple est lié, de manière narrative, aux passages précédents par un enchainement de personnages et d’événements. Le premier témoin (Jn 1,29-34) introduit l’appel des premiers disciples (Jn 1,35-51) que l’on retrouvera à Cana où Jésus, selon l’évangéliste, accomplit son premier signe (Jn 2,1-12). Ici, au Temple (2,13-25), nous retrouvons ces mêmes disciples interprétant le geste et les paroles de Jésus.
Cette succession esquisse déjà, telle une mise en abyme, la trajectoire de tout l’évangile et le chemin de foi des disciples. Nous retrouverons ainsi d’autres rencontres de Jésus amenant une personne à la foi, d’autres signes manifestant sa gloire à venir, des confrontations à Jérusalem jusqu’au procès, et le témoignage des disciples après la Passion et Pâques, qui deviennent à la fin de cet épisode, la clef de compréhension de tout l’évangile et la porte d’entrée dans la foi véritable.
Une fête
Le récit se situe dans cette suite de premières. L’évangéliste nous fait parvenir à Jérusalem à l’approche de la fête de Pâque. Il s’agit d’une des grandes fêtes juives dites de pèlerinage. Elle attire des centaines de milliers de croyants. Jésus et ses disciples s’inscrivent dans un cette foi d’Israël. La fête de pâque célèbre la délivrance des Hébreux par le Seigneur lors de la sortie d’Égypte. Nous sommes donc au sein d’un contexte liturgique d’importance et au sein du Temple. Ce lieu représente, pour ses contemporains juifs, la présence salvifique de Dieu au milieu de son peuple. Rien de moins, et pourtant…
La maison de mon Père (2,15-17)
Jn 2, 15 Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, 16 et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » 17 Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment.
Un fouet ?
Par rapport à la tradition synoptique, l’évangéliste amplifie la scène. En plus des colombes, il ajoute, exagérément, les brebis et les bœufs. Dans sa version, les marchands et les changeurs sont tous chassés hors du Temple, de manière plus explicite que les synoptiques. La mention du fouet, propre à Jean, participe à cette dramatisation, tout en nous questionnant. Jésus fait-il preuve de violence envers ses congénères ?
Le récit, comme je l’ai écrit plus haut, vient à la suite d’une série d’épisode qui déjà nous présentent la trajectoire de l’évangile et de la mission du Verbe fait chair. Après la manifestation de sa gloire à Cana (Jn 2,1-12), anticipation de la Passion et des noces eschatologiques, le récit prend des allures de Jugement Dernier. Le fouet ne sert pas à décrire la hargne de Jésus, mais renvoie le lecteur au Jugement divin, comme aussi la mention des cordes servant aussi à mesurer, juger.
Is 10,26 Contre eux, le Seigneur de l’univers va brandir un fouet, comme il frappa Madiane au Rocher d’Oreb ; il lèvera son bâton sur la mer, comme il l’a fait en Égypte. 27 Il arrivera, en ce jour-là, que le fardeau sera retiré de tes épaules, et de ta nuque, le joug. Le dévastateur monte de la région de Rimmone.
Na 3, 1 Malheur à la ville sanguinaire toute de mensonge [Ninive], pleine de rapines, et qui ne lâche jamais sa proie. 2 Écoutez ! Claquements des fouets, fracas des roues, galop des chevaux, roulement des chars !
Une maison de commerce
Le fouet de Jésus sert à illustrer la scène comme l’annonce du Jugement divin. Or, ce qui peut nous surprendre est l’association entre cette « parabole » du jugement et les destinataires. Car le fouet est bien souvent l’instrument symbolique de ce jugement envers les oppresseurs païens d’Israël (cf. ci-dessus) ou envers les fils d’Israël oublieux de la Loi et méprisant le juste et le pauvre. Mais ici, nous sommes au sein d’un lieu saint, sacré, où, pour la Pâque, se donnent rendez-vous les fidèles croyants. Que signifie la réaction de Jésus, ici, en ce Temple de Jérusalem ?
Nous pouvons comprendre combien Jésus critique les « commerces », y compris dans la prière, qui viennent dévoyer le Temple de sa première vocation. Ce ne sont pas tant les commerçants qui sont ici visés que l’extériorité d’un culte lié aux sacrifices de bœufs, de brebis, de colombes venant empêcher la véritable rencontre salvifique :
So 1,18 Ni leur argent ni leur or ne pourront les sauver. Au jour de la fureur du Seigneur, le feu de sa jalousie dévorera toute la terre, car il fera l’extermination terrifiante de tous les habitants de la terre.
Le jugement sur le Temple
Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. Cette injonction de Jésus ne s’adresse pas aux seuls marchands du Temple, mais aussi aux personnes présentes : depuis les pèlerins jusqu’aux autorités du sanctuaire, et probablement au lecteur. À la maison de commerce, remplie de gestes ostentatoires et extérieurs, Jésus propose une maison où se vit la gratuité filiale, la grâce. Bien plus, il se présente comme l’envoyé du Père qui appelle ainsi à la conversion pour une véritable adoration. Son geste manifeste l’autorité de ce divin Père.
Mais, pour saisir le sens de cette mission du Fils, il nous faudra attendre son plein accomplissement à la Passion et à Pâque comme l’indique la mention des disciples se souvenant, après coup, de l’Écriture : le zèle de ta maison me dévorera. Ce verset provient d’un psaume (68,10) décrivant la situation du juste souffrant et nous renvoyant à la croix. L’amour zélé du Fils envers cette maison, qui rassemble les enfants du Père, l’amènera jusqu’à l’offrande même de sa vie. Car un autre Temple, un autre lieu de rencontre avec le Seigneur, s’annonce.
Détruisez ce sanctuaire (2,18-22)
2, 18 Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » 19 Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » 20 Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » 21 Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. 22 Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Ils crurent à l’Écriture et à la Parole
La réaction des Juifs, présents au Temple, montre qu’ils ont saisi la portée symbolique et prophétique du geste. Ils ne s’emportent pas mais, demeurent dans l’incompréhension quant à l’identité de Jésus. Ils demandent des explications et introduisent la question des signes pour vérifier l’autorité de celui qui a vidé le Temple. Ce vide est alors comblé par sa Parole annonçant la Passion.
Le récit de l’évangéliste, à travers un malentendu, nous fait comprendre que le lieu de rencontre et de rédemption n’est plus dans un lieu habité, construits par les hommes, mais dans la personne même du Christ, tout donné. L’image est claire pour tout croyant et la mémoire des disciples nous le rappelle : le Christ fait ici référence à la Passion et sa résurrection. Voilà LE signe qui révélera le Père, et jugera le monde.
Comme pour le récit des noces de Cana, le récit débouche sur le croire des disciples. La mention de ces derniers est, une fois de plus, associée à une anamnèse : ils se rappelèrent. Il ne s’agit pas seulement de souvenirs d’antan. Le récit de Jean insiste sur le nécessaire accueil de la Passion pour naître à la foi. L’événement de la Passion et de la résurrection est ici donné au lecteur, avec toute l’Ecriture, comme la clef de compréhension de tout l’évangile ; une clef pour s’ouvrir à la foi.
Défiance (2,23-25)
2, 23 Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. 24 Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous 25 et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.
Le Temple véritable
Ces versets servent à la fois de conclusion et de transition. Ils permettent d’introduire la suite de l’évangile où la question de l’incrédulité va s’amplifier. Si beaucoup croient en lui, cette foi est qualifiée d’imparfaite. Elle n’est liée qu’aux seuls signes visibles, c’est-à-dire, de manière extérieure, se basant sur l’ostentatoire des faits miraculeux. Ce ‘croire’ ne représente pas cette foi accueillant la présence salvifique, la grâce de sa Parole et sa révélation ultime à la Croix. La fête de la Pâque nous rappelle combien les signes et prodiges, accomplis par le Seigneur lors de la sortie d’Égypte, n’ont nullement empêché les Hébreux de se rebeller.
L’omniscience de Jésus souligne un paradoxe. D’un côté, celles et ceux qui croient imparfaitement en lui, ne connaissant de lui que les signes. Et de l’autre côté, Jésus qui les connaît tous. Son omniscience exprime, une fois encore, son autorité divine, mais aussi, une fois de plus, comme à Cana, sa fidélité au dessein du Père. Jésus ne s’impose pas grâce à des signes, mais se révélera par le signe discret que sera la Croix et le tombeau vide. D’un côté ceux qui pensent connaître Dieu en raison de faits extérieurs et, de l’autre, Celui qui connaît l’intériorité des croyants. C’est à cette intériorité que Jésus va s’adresser maintenant à travers deux dialogues : celui avec Nicodème (Jn 3) et celui avec la Samaritaine (Jn 4).