L’Esprit et la Pentecôte (9)

Après l’Ascension, nous prolongeons notre réflexion avec le récit de la Pentecôte, qui n’est pas sans lien. Bien évidemment le mot Pentecôte fait penser à ce lundi chômé par beaucoup : une Pentecôte souvent synonyme d’un long week-end en perspective. Or ce n’est pas au lundi mais au jour même de la Pentecôte c’est-à-dire au dimanche que nous allons nous intéresser.

Selon Jean

La fête dominicale de la Pentecôte célèbre le don de l’Esprit Saint fait aux disciples, cinquante jours après Pâques selon le livre des Actes des Apôtres. Mais nous l’oublions souvent : il existe une autre version de cet événement dans l’Évangile selon Jean. Jn 20,19-23. Celui-ci rapporte l’événement du don de l’Esprit le jour même de la Résurrection, au dimanche de Pâques, lorsque Jésus se manifeste à ses disciples :

Jn 20 21 Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » 22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. 23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

Il n’y a pas de contradiction fondamentale entre le récit de Jean et celui de Luc qui représentent deux manières d’affirmer la continuité entre la Résurrection et le don de l’Esprit fait aux disciples, que ce soit le jour même de la Résurrection ou au cinquantième jour. La chronologie des évangélistes est d’abord au service d’une théologie et non d’une chronique historique. Nous allons cependant nous intéresser au récit de Luc, le plus connu, sachant que d’autre part j’ai déjà fait référence au récit johannique lors d’un article précédent (podcast #62).

Jean II Restout, Pentecôte, 1732

Le récit des Actes des Apôtres

Le récit des Actes des Apôtres se déploie en trois temps . Premièrement, il décrit l’événement du don de l’Esprit Saint  (Ac 2,1-4), s’en suit la réaction de la foule (Ac 2,5-13) et enfin l’intervention de Pierre (Ac 2,14-39). Trois parties que nous entendrons en trois épisodes. Les deux dernières sections développent l’interprétation de ce don de l’Esprit Saint et permettent d’en mieux saisir le sens sous deux aspects différents. Intéressons-nous d’abord à ces versets qui décrivent l’événement du don de l’Esprit Saint :

Ac 2, 1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours, ils se trouvaient réunis tous ensemble. 2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. 3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. 4 Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.

Moïse, Rembrandt, 1660

Fête de la Pentecôte (Shavouoth)

Dans le livre des Actes des Apôtres, Ac 2,1-13, le don de l’Esprit Saint aux disciples de Jésus se déroule le jour de la fête juive de la Pentecôte, appelée en hébreu Shavouoth, la fête des semaines célébrée le cinquième jour depuis la Pâque ; d’où le nom de Pentecôte, venant du grec Pentèkostè èméra ( πεντηκοστὴ ἡμέρα ) le cinquantième jour, durant lequel se situe notre récit.

Cette fête de la Pentecôte est donc une fête juive qui nous rappelle que l’émergence du christianisme se situe au sein même du Judaïsme. Pour le dire autrement, le don de l’Esprit n’a pas donné naissance à une fête chrétienne, mais c’est au sein d’une fête juive que se manifeste le don de Dieu fait aux disciples de Jésus. Nous sommes d’ailleurs à Jérusalem, la ville du Temple où se rassemble, nous le lirons plus tard, une foule extrêmement nombreuse de pèlerins juifs.

Effectivement, en ce premier siècle, Shavouoth est une fête de pèlerinage importante et très populaire. A l’origine, elle était uniquement une fête agraire des moissons. À l’époque de la rédaction du livre des Actes des Apôtres, cette fête célébrait le don de la Torah, la Loi de Moïse, fait au peuple, sept semaines après sa sortie d’Égypte fêtée à Pâque. Dans la tradition juive Shavouoth et Pessah, ou Pentecôte et Pâque, sont liées et font mémoire des Hébreux que Dieu a libéré de la servitude égyptienne et constitué comme son peuple. Pâque et Pentecôte célèbrent ainsi le salut de Dieu et son Alliance avec le peuple.

Si les deux fêtes sont liées dans le judaïsme, elles le seront aussi dans le christianisme. Il est bien évident que la mort de Jésus et sa Résurrection durant la fête juive de la Pâque aient éclairé l’interprétation faite en faveur de l’action salvifique de Dieu envers son Fils et son peuple. Il en est de même pour le jour de la Pentecôte envers la venue de l’Esprit de Dieu.

Juan Bautista Maino,, Pentecostes, 1614.

La théophanie

Luc d’ailleurs, dans sa description de la venue de l’Esprit Saint, emprunte au récit de la manifestation, ou théophanie, de Dieu au Sinaï :

Ex 19 16 Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla. 17 Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. 18 La montagne du Sinaï était toute fumante, car le Seigneur y était descendu dans le feu ; la fumée montait, comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait violemment. 19 La sonnerie du cor était de plus en plus puissante. Moïse parlait, et la voix de Dieu lui répondait.

Le récit de la théophanie du Sinaï fait lui-même référence à l’ambiance d’une assemblée dans le temple : sonnerie du cor, fumée d’encens, feu pour les sacrifices. On retrouve dans le passage des Actes des Apôtres, comme en Exode, la mention de bruits venant du ciel, de feu… On notera d’ailleurs que Luc est plus évasif que descriptif : un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent et des langues qu’on aurait dites de feu. Tout est dans la suggestion et non dans la description, et cela pour souligner l’expérience divine et spirituelle qu’ont fait les disciples du Ressuscité.

Horace Vernet, Jérémie, 1844

La Nouvelle Alliance et le don de l’Esprit

Ce bruit tel un vent, ces langues comme de feu … permettent aux lecteurs croyants de saisir l’origine d’un tel événement. Dieu intervient comme autrefois pour le peuple de Moïse, en faveur des disciples de Jésus. D’ailleurs, comme en Exode, les destinataires sont rassemblés, réunis tous ensemble. Il ne s’agit nullement de substitution : les disciples de Jésus ne remplacent pas le peuple d’Israël, au contraire – nous le verrons la prochaine fois – ils en deviennent les hérauts prophétiques.

Mais au don des lois, qui suit le récit de la théophanie du Sinaï, se substitue un autre don, celui de l’Esprit Saint. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit. Ac 2,4.

Ce don de l’Esprit vient accomplir la parole des prophètes qui espéraient la venue d’une ère nouvelle où Dieu interviendrait pour renouveler son Alliance et rendre sa justice. Ainsi Ézéchiel proclamait de la part du Seigneur :

Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. (Ez 36,26-27).

Ce temps attendu est celui d’une nouvelle Alliance et d’une nouvelle présence du Seigneur à son peuple. Dieu s’y implique de manière intime et intérieure. Le prophète Jérémie dit à ce propos :

Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. […] Voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés – oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Jr 31,31-33,

Giotto, Pentecôte

L’Esprit Saint et le Christ

Ce don de l’Esprit divin répond au don que le Christ a fait de sa vie. Le don de Dieu est un don entier et débordant : ils sont « remplis » de l’Esprit Saint. Ce don rappelle la parole du baptiste : il vient, celui qui est plus fort que moi. […]  Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Lc 3,16. L’Esprit présent au Fils , lors de sa plongée dans le Jourdain (Lc 3,22) comme durant son ministère (Lc 10,21), n’est pas « quelque chose » tel un bonus spirituel supplémentaire. Il souligne la présence même de Dieu à son Fils et son amour pour lui. Le don de l’Esprit fait aux disciples s’inscrit dans cette permanence de Dieu qui se donne, se communique, par son Fils, aux disciples et témoins du Christ.

Ainsi ce don fait naître le disciple à la Parole, comme d’ailleurs une naissance fait entendre le cri du nourrisson. Au don de la Loi de Moïse succède maintenant le don de la parole selon l’Esprit et le don des langues mais la suite du récit nous en dira beaucoup plus à ce propos et c’est ce que nous entendrons la prochaine fois.

Références et citations

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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