Parallèles : Mt 6,19-21 ; 24,43-51
Après la parabole des greniers, et l’images des corbeaux et des lis, l’évangile de Luc se poursuit avec une autre métaphore dans laquelle Jésus met en scène des serviteurs veilleurs, un maître noceur et des intendants despotes. Le jugement porté ici ne concerne pas les affaires de chacun, mais la vie ecclésiale du petit troupeau.
Le trésor du cœur (12,32-34)
12, 32 Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. 33 Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. 34 Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.
Dans la continuité
Ce passage reste dans la continuité des versets précédents. La mansuétude de Dieu accompagne le croyant dans sa vie. Le Seigneur est Celui qui donne sans compter. Il offre jusqu’à son propre Royaume, et jusqu’à sa vie, abandonnant ainsi son pouvoir. Ce don précieux se substitue aux biens mondains, il transforme les possessions en dons, l’égoïsme en charité inépuisable. La crainte de l’inconfort matériel, laisse place à la joie du don.
Le maître inattendu (12,35-40)
12, 35 Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. 36 Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. 37 Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir.38 S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! 39 Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur viendrait, il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. 40 Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Veillez
On insiste souvent, et sans doute avec raison, sur l’importance du service du prochain dans la vie chrétienne, à la manière du bon samaritain (10,25-37). Ici, pourtant, c’est moins le service de l’autre, du prochain, que celui du maître. En réalité, c’est l’attente qui est soulignée. Le serviteur doit se tenir prêt pour le retour du maître parti pour des noces. À quoi correspondent ces images et notamment celle de la noce ?
Par rapport aux discours précédents, la figure mise en exergue est celle du Christ et Fils de l’homme. Les noces sont l’évocation des noces eschatologiques de l’Alliance entre Dieu et son peuple, que la Croix va inaugurer. Alors ce retour de noces à quoi correspond-il ? À l’époque de l’évangéliste, les chrétiens attendaient le retour du Christ et le Jugement final de manière imminente. Mais le temps passe, et les communautés chrétiennes subissent les épreuves : persécutions à Rome, évictions de la synagogue…. de quoi désespérer. Or, le temps, le moment favorable (4,14-21) n’appartient qu’à Dieu. L’imminence attendue doit laisser place l’inattendu de l’avènement final.
Cet inattendu n’est pas une question de calendrier mais de révélation. Une révélation qui vient renverser la perspective. Le maître et Fils de l’homme qui revient des noces se fait serviteur des serviteurs, s’abaissant jusqu’à la croix. La parabole ne donne pas à voir un avenir, mais une disposition : celle d’accueillir l’humilité de Dieu, le véritable trésor du croyant.
Le jugement des cadres (12,41-48)
Lc 12 41 Pierre dit alors : « Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tous ? » 42 Le Seigneur répondit : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? 43 Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! 44 Vraiment, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. 45 Mais si le serviteur se dit en lui-même : “Mon maître tarde à venir”, et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, 46 alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles. 47 Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups. 48 Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, celui-là n’en recevra qu’un petit nombre. À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage.
Le lavement des pieds
La question de Pierre permet à l’évangéliste de distinguer deux paraboles. La première que nous avons entendue concernait les fidèles. Cette dernière parabole est destinée cette fois-ci aux apôtres d’hier mais surtout aux actuels responsables des communautés chrétiennes, comparés à l’intendant des serviteurs. Si la première parabole décrivait l’attente du personnel, y compris dans les épreuves, ici c’est l’action impatiente et mauvaise des intendants apôtres qui est soulignée. La parabole constitue une dure mise en garde contre l’irresponsabilité de certaines de ces élites, mauvais serviteurs, qui usent de leur pouvoir et desservent l’Évangile. Leur négligence est le reniement de la présence du maître toujours vivant. La parabole dénonce cette tentation du pouvoir qui contredit l’avènement du Fils de l’homme, serviteur. La responsabilité qu’il incombe aux responsables n’est pas de se substituer au maître – qui lui semble tarder – mais d’accomplir la volonté de ce dernier jusqu’au bout.
L’intendant ecclésial est celui qui doit fournir la nourriture dont la métaphore des corbeaux nous parlait : la bienveillance et l’amour de Dieu. Heureux est-il celui-ci, serviteur digne de confiance. Ainsi le texte souligne l’extrême responsabilité aux yeux de Dieu des responsables ecclésiaux envers ce petit troupeau fragilisé par les épreuves, comme l’exprimera la suite de ce passage.