Parallèle : Lc 17,3
Le discours de Jésus à ses disciples se poursuit. Le ton demeure très communautaire et ecclésial : après l’humilité nécessaire pour se soucier des plus petits (18,1-14) dont quelques brebis perdues, les paroles de Jésus concernent désormais la vie fraternelle avec ses accords, ses confrontations (18,15-20) et l’incontournable mais difficile réconciliation (18,21-35).
Ce discours (Mt 18) tient une place centrale dans l’évangile de Matthieu. L’importance donnée à la nécessaire communion et réconciliation révèle les difficultés et les dissensions que pouvait vivre une communauté chrétienne comme celle de Matthieu. Ce dernier insiste pour ancrer ce souci fraternel, comme celui envers les petits, dans la volonté du Père.
Si ton frère a commis un péché contre toi (18,15-16)
18, 15 Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. 16 S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins.
Ton frère
Ce premier passage fait suite au souci des plus fragiles de la communauté chrétienne et à la parabole de la brebis perdue. Ici, il ne s’agit pas seulement de petits mais de frères. Cette distinction grands/petits n’a plus lieu d’exister lorsque les grands sont devenus petits, à l’image des enfants. La communauté chrétienne est donc marquée par une fraternité qui surpasse tout qualificatif social ou hiérarchique. Mais une communauté fraternelle est aussi une communauté qui voit ses membres et frères (et sœurs) se confronter… et se blesser.
Le passage suppose ainsi une situation concrète où l’un des membres (qui peut être aussi un groupe) a commis un péché envers un autre membre (ou un autre groupe). Jésus ne dit rien sur ce péché, sinon qu’il concerne deux seules personnes : un offensé et un offenseur qui reste qualifié de ‘frère’, et cela à son importance. Car Jésus ne condamne pas d’emblée ce pécheur, comme d’ailleurs il ne le pardonne pas d’emblée. Il suggère un procédé de conciliation qui va crescendo, dans la liberté de chacun. D’abord à l’amiable, en privé, puis en petit comité avec une ou deux personnes, il faut régler l’affaire, exprimer l’offense non pour rabaisser et vilipender l’offenseur, mais afin qu’il écoute, c’est-à-dire qu’il comprenne et se repente. Les deux ou trois témoins permettent ici d’entendre les parties pour mieux qualifier l’injure mais surtout pour servir la conciliation, voire la réconciliation. Ce n’est que lorsque ces tentatives échouent que l’offense peut devenir publique.
Dis-le à l’assemblée de l’Église (18,17-18)
18,17 S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. 18 Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel.
Comme un païen et un publicain
Comme envers les petits, le disciple – même offensé – doit tout mettre en œuvre pour garder ce frère et cette fraternité nécessaire à la communauté, c’est-à-dire l’Église. Et c’est à elle, l’assemblée ecclésiale et non quelques-uns, qu’il revient de discerner et d’aider l’offenseur au repentir. Et il faut l’obstination du coupable face à l’assemblée pour que celui-ci soit considéré comme ‘un païen et un publicain’, c’est-à-dire une personne qui, ici, refuse Dieu (païen) et méprise son peuple (publicain). Mais ce qui paraît être une exclusion (ou excommunication) n’est pas qualifié de définitif ou acte d’ostracisme. Car il faut nous souvenir que dans ce même évangile Jésus s’adresse à ces païens (La femme cananéenne 15,21-28) et publicains (Matthieu 9,9). Rien n’est définitivement perdu, pas même cette brebis-là pour laquelle le berger ira en quête et lui offrir encore et toujours la paix de l’Évangile.
Car l’enjeu n’est pas seulement procédurier, judiciaire : il en va de la mission comme le rappelle le verset déjà entendu lors de la confession de foi de Pierre (16,13-20) : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. L’objectif premier est bien de faire du lien entre la vie ecclésiale et la volonté de Dieu, ce qui suppose de tout mettre en œuvre pour le préserver, quitte parfois à « délier ». Car le mépris obtus et l’injuste manifeste, au sein de la communauté, sont en contradiction avec ce Royaume du Père. Mais le refus de travailler au retour de l’offenseur repenti serait tout aussi condamnable.
Quand eux ou trois sont réunis en mon nom (18,19-20)
18, 19 Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. 20 En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »
Un vrai désir de communion fraternelle
Nous entendons ou citons souvent cette phrase en Église. Comme si le simple fait de se réunir manifestait la présence même du Christ. Cela est juste. Mais le contexte donne encore plus de poids à ces versets. Se réunir en son nom est à entendre comme l’expression d’un vrai désir de communion entre sœurs et frères, accordés ensemble et au Christ. Ces deux ou trois personnes réunies rappelle justement ces deux ou trois témoins des versets précédents : ceux et celles qui œuvrent pour la réconciliation, signe ce Royaume advenu. Et cette communion fraternelle est peut-être l’une des seules choses à demander au Père céleste.