Un figuier dans la vigne (Lc 13,1-9)

3ème dim. de Carême (C)

Le passage précédent avait introduit précédemment la question de la justice divine en lien avec la rétribution, invitant à juger ce qui est juste, comme en ce passage de l’évangile.

Enceinte de Jérusalem, 2007 (F.B.)

L’affaire des Galiléens et la tour de Siloë (13,1-5)

13, 1 À ce moment, des gens qui se trouvaient là rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. 2 Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? 3 Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. 4 Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? 5 Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. »

Intérêt narratif

Nous n’avons, par ailleurs, aucune trace de ces deux événements rapportés uniquement par l’évangéliste. Même l’historien Flavius Josèphe ne mentionne pas ces faits qui servent ici à éclairer la question de la justice et de la rétribution. Ces deux exemples, tirés de l’actualité, suivent un même schéma littéraire. Jésus évoque d’abord un incident mortel (massacre ou accident) et pose la question : Pensez-vous que les victimes soient plus pécheurs/coupables que tous les autres ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. L’exemple concret s’ouvre, ainsi, sur mise en garde destinée à l’auditoire et appelant à la conversion.

Être victime d’un drame signifie-t-il avoir subi un châtiment divin mérité ? Par ces deux exemples mettant en scène des galiléens – présent auditoire de Jésus – ou des victimes d’un accident, la réponse ne peut être que négative, du moins en ce qui concerne la vie d’ici-bas. Les injustices subies, comme celle qu’ont pu vivre les communautés chrétiennes (12,1-31), ne relèvent pas d’une rétribution divine en ce monde. Plus que les épreuves c’est surtout la question de la mort injuste qui est ici soulevée, et sera rappelée comme en écho dans les derniers versets de ce chapitre pour la mort de Jésus hors de la ville (13,31-35). Ces paroles invitent les auditeurs à ne pas se faire juge et décider qui est coupable et pécheur en raison d’une mort apparemment infâme. Le seul juge et le seul jugement advient avec le Christ, et cela en raison d’abord de sa grâce. Le texte opère un changement de perspective comme le montre la parabole suivante.

Mais si vous ne vous convertissez pas

Les paroles de Jésus opèrent donc un glissement : du drame présent au jugement eschatologique, du péché à l’absence de conversion. Or cette conversion n’est pas d’ordre éthique ou moral, elle concerne – comme le suggère fortement le contexte de ces versets – la reconnaissance du Fils de l’homme jusqu’en sa Passion. Les deux incidents, pris en exemple, anticipent déjà le mystère de la croix perçue par les uns comme un contre-témoignage de l’action salvifique de Dieu. Ainsi, des opposants au Christ Jésus pouvaient affirmer que, s’il avait été juste, Jésus n’aurait pas subi ce sort, protégé par l’attention divine. Le massacre des Galiléens, au Temple, et l’accident de la tour de Siloë se déroule à Jérusalem, ville vers laquelle Jésus se rend. Ce choix de morts injustes à Jérusalem n’est donc pas fortuit.

Giovanni Domenico Tiepolos, Jésus maudissant le figuier,1800

Un figuier sans fruit (13,6)

13, 6 Jésus disait encore cette parabole : « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. 7 Il dit alors à son vigneron : “Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?” 8 Mais le vigneron lui répondit : “Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. 9 Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.” »

De la ville au champ

La parabole nous fait quitter la ville pour la campagne. Et ce passage pose doublement question. Premièrement : quel est le lien avec ce qui précède ? Luc nous fait passer de la mort infâme, ne pouvant être perçue comme une rétribution méritée,  au jugement, au discernement, d’un vigneron à l’égard d’un figuier stérile qui mériterait d’être arraché. La question du jugement est donc commune aux deux textes. Mais au jugement sur une mort juste ou injuste aux yeux des hommes, la parabole oppose le thème du jugement définitif et eschatologique du maître. Vigne et figuier seront encore évoqués pour être associés au Jugement et à la Passion du Christ (20,9 ; 21,29 ; 22,18)

La seconde question est davantage liée à la parabole : que fait un figuier dans une vigne ? Luc sait que son auditoire croyant a quelques clés de lecture. La vigne représente bibliquement Israël : Is 5,7 La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. (cf. podcast). Quant au figuier, dans la tradition juive, il est associé à la Loi, à l’attachement à Dieu (Jn 1,48) mais aussi au Temple (cf. Mc 11,12-26 & podcast). Les images sont ici collectives : le figuier surplombant la vigne, comme les élites religieuses, pharisiennes et légistes, ou les grands-prêtres du Temple, dominent la vigne des fils d’Israël. Le jugement n’est plus individuel mais fait désormais référence au jugement d’Israël et des nations, lié à l’avènement du Règne. Au sein de la vigne d’Israël, image horizontale, le figuier se dresse comme un élément vertical, reliant la terre au ciel, mais qui ne joue plus son rôle. Dans cette vigne, le figuier ne donne plus de fruit et fatigue le sol, autrement dit, il nuit à la vigne. Le maître décide donc de supprimer cet arbre désormais inutile depuis trois ans. Ces trois années de stérilité déterminent une assez longue période pour qui attend des fruits à chaque saison. Dès pourquoi ne pas le supprimer et sauver la vigne ? Le maître a posé son jugement, son vigneron l’interpelle.

Vincent van Gogh, La Vigne Rouge, 1888

Encore cette année

Le vigneron, celui qui se tient au milieu de la vigne, intercède auprès le propriétaire : Laisse-le encore cette année… Il en appelle à sa patience et à sa mansuétude, tout en se soumettant à son jugement : une année sinon tu le couperas. L’année à venir est donc déterminante pour ce figuier dont ne saura pas s’il a aura donné du fruit ou s’il a fini par être coupé.

Les figures du vigneron et du maître pourraient rappeler celle du Christ qui intercède auprès du Père ; celui qui au milieu de la vigne fait tout pour appeler au changement, à la conversion afin que le figuier porte du fruit, et que la relation à Dieu soit restaurée. L’année du vigneron évoque ainsi cette année favorable du Messie (4,14-21) qui annonce une Bonne Nouvelle et une délivrance. Le Jugement du maître vient, et le soin du vigneron appelle à la conversion. Ainsi l’avenir du figuier est entre les mains du vigneron. Il se présente comme le serviteur du jugement ultime du maître.

Comme je l’ai écrit, rien ne nous ait dit de l’avenir de la vigne et du figuier. Tout reste en suspens attendant, justement, la fin de l’année écoulée et invitant à l’urgence d’accueillir le soin du vigneron, comme le montrera l’épisode suivant.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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