Parallèles : Mt 4,1-11 | Lc 4,1-13
Après celui d’Isaïe (1,1-4) et celui de Jean le baptiste (1,5-11), vous reprendriez bien un peu de désert ? Car, une fois encore, nous nous y rendons, en suivant Jésus (1,12-13) mais ce troisième désert paraît bien différent et particulier.
Au désert (1,12-13)
1,12 Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert 13 et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Poussé par l’Esprit
À peine le Seigneur Dieu a-t-il, de sa voix, encouragé son Messie (1,11) que son Esprit le pousse ou, plus littéralement, le jette au désert dans un aussitôt surprenant. Non pas d’emblée en Judée ou, en Galilée, ni même à Jérusalem à la rencontre des foules, mais là où, a priori, il n’y a pas grand monde. Je vous disais bien que nous n’aurions pas fini d’être surpris. Quelle urgence y a-t-il à être en ce désert ? On aurait tort, sans doute, de considérer ce séjour comme une retraite de première communion ou d’ordination. L’Esprit du Seigneur l’y envoie aussitôt car il en va de sa mission de fils bien-aimé et du Salut de tous. Il ne se s’agit pas d’une balade mais d’un impératif ! La nouvelle Alliance entre Dieu et son peuple, que le baptiste annonçait au bord du Jourdain, demande une terre sainte renouvelée, débarrassée définitivement des souillures du mal.
Un désert pour l’Alliance
Le temps passé au désert ne relève pas d’un calendrier aléatoire. Il fait écho à ces quarante années d’errance des fils d’Israël, mené par Moïse, avant d’atteindre la terre promise. Quarante années qu’on ne saurait réduire aux seules épreuves et tentations. Ce sont d’abord des décennies de marche aux côtés du Seigneur : “Voici quarante ans que le Seigneur ton Dieu est avec toi, sans que tu ne manques de rien” (Dt 7,2). Le désert devient dès lors le lieu de la relation privilégiée avec Dieu, son arche d’Alliance au milieu des Hébreux sortant, libres, d’Égypte. Cette première Pâque est un temps de don. Celui d’une Alliance éternelle entre Dieu et son peuple (Ex 24). Don d’un lien indéfectible, par la Loi et ce Sanctuaire, la bien-nommée Tente de la Rencontre… Et ce premier pas de Jésus dans ce désert où l’Esprit Saint l’a jeté, devient la marche volontaire du Seigneur vers une Alliance renouvelée, dans un don sans limite, une pérégrination non sans embûche.
Épreuve et tentation
Selon les livres de l’Exode et des Nombres, une partie des Hébreux s’opposa, maintes fois, au dessein divin, contestant l’autorité de Moïse, allant jusqu’à regretter l’Égypte des idoles et de l’esclavage. En cette errance des douze tribus d’Israël, la marche salutaire est ralentie, mise en danger lors de la révolte de Coré (Nb 16), des contestations à Mara et Mériba (Ex 17; Nb 20), ou lors du fameux Veau d’Or (Ex 32). La tentation biblique n’est pas d’ordre moral mais théologal. Elle exprime l’opposition au dessein de Dieu, la tentation humaine de la toute-puissance et du culte des idoles mondaines et surtout de soi-même. Aussi, Marc ne se perd pas en détails : ce n’est pas nécessaire. Jésus, en ce désert, est à l’image de Dieu éprouvé dans ce même lieu où vos pères m’ont tenté et provoqué (Ps 94/95,9). L’histoire à suivre nous montrera ces contestations, ces épreuves venant de ces satanés opposants : des scribes (3,22), voire même des disciples (8,33) et de bien d’autres. Mais, n’anticipons pas et restons ici, dans ce désert, encore un peu.
Du désert au jardin d’Éden
Ce ne sont pas les hommes que le Christ de Dieu combat, mais la racine du mal qui les détourne de leur vocation à aimer. Mal ici symbolisé par Satan (1,12), l’ennemi en hébreu, l’opposant, l’adversaire, celui qui fait barrage à la volonté du Seigneur. Et, en ce désert d’Alliance, Jésus ressort vainqueur : victoire anticipant celle de sa Pâque et ô combien déjà encourageante. Mais ce n’est pas tout. À l’issue du combat, le désert, désormais, baigne de vie : bêtes sauvages côtoyant paisiblement Jésus et des anges descendant le servir. Le désert est devenu jardin de la rencontre entre le divin et le terrestre, au centre duquel se tient Jésus, tel un nouvel arbre de vie. Êtres terrestres et créatures célestes sont désormais réunis dans ce nouvel et unique Éden, jardin des délices, que le prophète Isaïe attendait :
Le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le chevreau. Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble, conduits par un petit garçon.[…] On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du Seigneur. (Is 11,6…9 )
Un manque à combler
Pourtant, dans ce nouvel Éden, une absence demeure : ces hommes et ces femmes encore loin. Le jardin est prêt pour accueillir l’humanité qu’il va falloir aller chercher, pêcher, arracher au mal, ouvrir au dessein de Dieu et rassembler au sein du filet de la parole de miséricorde. Ne soyons pas naïfs, sur ces chemins de Judée et de Galilée, et sur ceux de nos aujourd’hui, le Christ devra parfois se frayer un chemin, au milieu de nos ronces et de nos rocailles, pour semer son évangile au cœur de cette humanité blessée. L’image édénique et idyllique reflète ici la volonté de salut de Dieu et de son Christ, mais elle n’évacue pas les difficultés pour y parvenir. Malgré les adversaires et les adversités, les satans d’hier et d’aujourd’hui, ce jardin d’Alliance du nouvel Éden n’est pas si loin que l’on imagine, ni même inaccessible. Marc ne tardera pas à nous le faire percevoir et à nous faire goûter à ce délice.