Parallèles : Mt 5,13 ; 10,37-38 | Mc 9,49-50
23ème dim. ord. (C) Lc 14,25-33
Après les paraboles sur la préséance des pauvres au repas du Royaume, Luc évoque la préférence du Christ dans la vie des disciples. Jésus marche toujours vers Jérusalem. Ce périple semble bénéfique : après ses miracles, discours et paraboles, une foule nombreuse fait maintenant route avec lui. Mais se mettre à la suite de Jésus c’est aussi faire preuve de lucidité et de discernement. L’évangile met en garde ces disciples qui se comporteraient comme de doux rêveurs ou des va-t-en-guerre.
Si quelqu’un vient à moi (14,25-27)
14, 25 De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : 26 « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. 27 Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.
Renoncer pour être disciple
Jésus interrompt la marche : il se retourne vers la foule nombreuse qui fait route avec lui. Depuis longtemps la foule est admirative de ses œuvres, ses miracles accompagnés de ses paroles remplies de sagesse. Mais le chemin ici prend autre sens que celui d’un itinéraire de prédication. Désormais, comme il le prévient, se mettre à sa suite, faire route avec Lui, suppose un tout autre choix que l’assurance d’un bienfait immédiat et personnel. Luc rappelle avec cet épisode que suivre le Christ peut conduire à une rupture radicale et dramatique d’avec le milieu familial et son héritage. L’appartenance à un clan familial et à un groupe religieux ancestral constituent l’organisation même de la société antique. S’en détacher c’est subir l’ostracisme, le mépris et la perte de l’héritage. Une fois encore, le texte de Luc évoque les choix et les épreuves que les disciples auront aussi à vivre en raison de leur foi : exclusion de la synagogue et,ou du clan familial. … Bien plus, Jésus donne à contempler sur ce chemin de foi, l’horizon de la croix, c’est-à-dire du don ultime de soi. Mais, c’est aussi, pour Luc, l’horizon du salut qui oriente les choix de vie.
S’asseoir pour calculer (14,28-30)
14, 28 Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? 29 Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : 30 “Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !”
Renoncer à l’utopie pour le discernement
Paradoxalement, suivre Jésus nécessite de s’asseoir. L’expression mérite notre attention : commencer par s’asseoir . Jésus invite au discernement et au réalisme. Dans une époque (la nôtre) où le ressenti, l’émotionnel, a plus d’importance que la raison, il convient de souligner combien déjà au temps de l’évangile, foi et raison vont de pair. La vie de tout disciple doit s’inscrire dans un sain(t) discernement qui laisse apparaître ses limites. Une fois encore, cela requiert une once d’humilité et de patience. Être disciple n’est pas un acquis mais un devenir, une vie à bâtir. L’avertissement de Jésus vient tempérer les ardeurs.
S’asseoir pour voir (14,31-33)
14, 31 Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? 32 S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix. 33 Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.
Renoncer à l’orgueil du combat pour une paix humiliante
Avec ce second exemple, toujours en lien avec le discernement, Jésus met en garde contre l’orgueil belliqueux de certains disciples. Ces va-t-en-guerre de la foi contredisent la croix même de Jésus. Le discours vise à souligner la nécessaire humilité et le réalisme de la situation des chrétiens dans un monde de pouvoir. Le vrai roi, qui se révélera lors de la passion de l’évangile, est celui qui, sur la croix, apporte son pardon et sa paix. La vie du disciple est ainsi configurée au Christ, dans un triple renoncement à une stabilité familiale, à une réussite personnelle et à une victoire mondaine. C’est ainsi que le discours de Jésus s’achève par cette invitation radicale : celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.
Si le sel se dénature (14,34-35)
14, 34 C’est une bonne chose que le sel ; mais si le sel lui-même se dénature, avec quoi lui rendra-t-on sa saveur ? 35 Il ne peut servir ni pour la terre, ni pour le fumier : on le jette dehors ! Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »
Celui qui a des oreilles…
Le troisième exemple diffère des deux premiers : il n’est plus question de s’asseoir pour être conscient de la suite à donner. Dans la logique du discours, ce passage semble davantage concerner ceux qui ont choisi de suivre le Christ, au milieu des épreuves et contradictions. Ils sont comparés à ce bon sel qui relève les plats, sert à la conservation : un ingrédient donc essentiel. La mission du disciple est de donner ce goût d’évangile et cette saveur du Royaume qui donnent plus à convaincre librement qu’à vaincre outrageusement. Pourtant, même dans la vie du disciple, ce sel de la foi peut s’affadir au point et ne rien relever de l’Évangile, dénaturé par la recherche des honneurs et des premières places (14,1-24), le goût du pouvoir ou le désir de conquête et de réussite (14,28-32).