Avec le chapitre 13 commence le second volet de l’évangile de Jean souvent appelé ‘le livre de la Gloire’. Cette partie est constituée de trois ensemble. Le premier concerne toute une séquence discursive initiée avec le lavement des pieds (13-17). Viennent ensuite le récit de la Passion (18-19) et ceux des manifestations du Ressuscité (20-21).
Le discours de Jésus à ses disciples (13-17)
La partie que nous allons aborder correspond à un long discours de Jésus à ses disciples. La scène est intime et se déroule, entre Jésus et ses disciples, juste avant son arrestation. Le style des propos reprend les discours testamentaires connus de la Bible et de l’antiquité. Peu avant de mourir, un homme laisse ses instructions, son témoignage, sa pensée mais aussi annonce leur destin à ses enfants, tel le patriarche Jacob à ses fils (Gn 49).
Les chapitres 13 à 17 constituent une unité : ils se déroulent dans le même temps, dans le même lieu. Comme nous le verrons certaines parties suggèrent des ajouts qui viennent préciser les discours précédents. Le chapitre 17, la prière de Jésus à son Père, conclura cette section.
- Le lavement des pieds et ses interprétations (13,1-38)
- Le premier discours d’adieu (14,1-31)
- La nécessaire unité (15, 1 – 16,15)
- Le nécessaire départ (16,16-33)
- La prière de Jésus (17,1-26)
Avant la fête de la Pâque (13,1-4)
13, 1 Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. 2 Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, 3 Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, 4 se lève de table…
De la contestation à la croix
Ces trois premiers versets introduisent non seulement l’épisode du lavement des pieds mais embrassent l’ensemble de cette seconde section. Ils donnent ainsi aux lecteurs les clefs de compréhension à propos de la passion prochaine. Durant les chapitres précédents, Jésus se révélait à ses contemporains – et dans ce même mouvement aux lecteurs – comme le Fils unique, envoyé du Père, venu pour offrir la vie éternelle.
Pourtant, nous l’avons vu, ces éléments n’ont pas suffi pas à asseoir l’autorité de Jésus. Sa prétention est non seulement contestée mais elle est aussi contredite. Tout au long de la première section, les récits, les discours nous orientaient vers l’heure et la croix comme lieu de glorification. Et ces premiers versets nous le rappellent : le lieu de la croix est aussi le lieu de la révélation et de l’élévation vers le Père. Si l’autorité de Jésus vient du Père, comment comprendre, après tous ces signes et ses paroles, le lieu de la croix, un lieu d’anéantissement, comme un lieu de glorification ? Comment comprendre que, malgré son omniscience, si caractéristique de l’évangile de Jean, Jésus se laisse saisir et souffrira sa passion à l’approche de la Pâque ?
Le lavement des pieds et le discours de Jésus (13-17), vont, pour une part, donner et redonner sens à cette présence de Christ au monde, comme celui qui offre un salut et un avenir à ses disciples. Le procès et notamment la confrontation avec Pilate (18-19) viendront révéler toute la royauté de Jésus. Enfin la crucifixion et la résurrection (19-20) mettront encore en lumière que la révélation et la souveraineté du Christ ne peuvent faire l’économie de la croix, bien au contraire.
Sachant que l’heure était venue
Les premiers versets de ce chapitres résument toute l’intrigue qui va se jouer : 13,1 Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue. En mettant en lumière le savoir de Jésus, l’évangéliste le place sur la scène de la Passion comme l’acteur principal de celle-ci. De bout en bout, dans cet évangile, Jésus est Celui qui demeure le maître de la situation et de l’histoire. Son Heure est arrivée, l’heure de passer de ce monde à son Père, de rejoindre l’amour du Père manifesté bientôt sur la croix. Depuis l’épisode des noces de Cana, l’évangéliste annonçait cette heure : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » (2,4).
La dimension cruciale de l’heure
La question de l’heure qui n’est pas encore venue, est apparue régulièrement dans les chapitres 2 à 8. Si, à cet instant, le lecteur peut n’avoir aucune idée de sa signification, c’est au fur et à mesure de la progression du récit évangélique, que l’orientation vers la Croix se précisera (7,6.8.30 ; 8,20).
La première mention de l’heure se situe lors du récit des noces de Cana (2,4). L’eau est changée en vin, signe de surabondance, d’un véritable banquet eschatologique que vient inaugurer le Christ. Celui-ci agit et ouvre un temps nouveau pour les convives. Les cuves, destinées autrefois à la purification, offrent désormais un vin nouveau, ce vin de la Nouvelle Alliance en Jésus-Christ.
Les deux mentions suivantes apparaissent dans le récit de la rencontre avec la Samaritaine (4,21.23). Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père (4,23). Le dialogue avec celle-ci porte majoritairement sur l’eau vive, don de Dieu (4,7.10) et sur le lieu d’adoration qui annonce déjà la croix.
Dans les chapitres suivants, les mentions de l’heure amène à préciser que cette annonce doit passer par la Croix. Lors de la fête des Tentes, Jésus refusa l’invitation de ses frères à venir à Jérusalem : son temps n’est pas encore venu (7,4.6). Un autre temps, une fête comme celle des Tentes, manifestera son statut de Fils et Messie : ce sera cette Pâque annoncée lors de l’entrée à Jérusalem. Par la suite, les deux autres mentions éclairent encore le lien entre l’Heure et la Croix : Ils cherchèrent alors à l’arrêter mais personne ne mit la main sur lui parce que son heure n’était pas encore venue (7,30 ; 8,20). Tous ces épisodes ont lieu durant la fête des Tentes, une fête liée à l’attente messianique. Si l’heure annonce la Croix, elle évoque aussi celle de l’avènement du Messie, par la Croix.
L’heure du Fils et Christ de Dieu
Dans les chapitres 12 à 13 cette heure vient (12,23.27 ; 13,1). Le lien entre l’heure et la Croix devient une œuvre de Glorification par le Père (12,20-33). La théophanie : ‘Je l’ai glorifié, je le glorifierai encore’ (12,28) souligne que la Croix n’a de sens que dans la relation du Père et du Fils, de l’envoyé et de celui qui l’envoie, de celui qui aime jusqu’au bout, au point de perdre sa vie (12,25; 13,1).
L’heure de l’amour pour ses disciples
Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Ce verset n’introduit pas seulement le lavement des pieds, mais vient éclairer tout le reste de l’évangile. Jésus aime les siens, jusqu’au bout, qu’on pourrait traduire par jusqu’à la fin, ou jusqu’à l’achèvement, ou encore jusqu’à l’extrême. Mais de quelle fin serait-il question ? La fin de sa présence aux disciples après le don de l’Esprit (20,22) ou la fin narrative de l’évangile ? Jusqu’à l’achèvement à la Croix (19,20), où se joue véritablement la réalisation de l’amour du Père et du Fils pour le monde ? Cet amour jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême, doit aussi être entendu à l’aune de la Passion. Malgré les abandons, les reniements, les trahisons… Jésus aime les siens jusqu’au bout, jusqu’à offrir sa vie pour eux. Jusqu’à les entrainer dans ce même mouvement d’amour. Il ne s’agit pas d’un amour passé, mais d’un amour présent, qui se rend présent. Ce verset rend compte de l’amour dont Jésus comble ses disciples lors de ce repas, à la trahison de Judas, à la Croix jusqu’au bord du lac : Pierre m’aimes-tu ?’ (21,15).