Avec vous, jusqu’à la fin du monde (Mt 28,16-20)

Parallèles : [Mc 16,15-18], (Lc 24,44-49)

Jeudi de l’Ascension (A)
Dim. de la Sainte Trinité (B)

Ces derniers versets de l’évangile font se rencontrer, en Galilée, Jésus ressuscité et ses disciples. Ainsi s’accomplit la parole que Jésus avait dite aux femmes : 28, 10 Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. 

Cet ultime récit vient à la suite de celui évoquant la rumeur mensongère colportée par les gardes et les grands-prêtres (28,11-15). La manifestation de Jésus à ses disciples vient donc contredire l’argument du vol du corps. Nous en sommes en présence d’un récit visant, entre autres, à soutenir la foi judéo-chrétienne de la communauté de Matthieu en la résurrection du Christ.

Czechowicz Szymon, Le Chrsit ressuscité et ses disciples, 1758

Allez ! baptisez ! (28,16-20)

Mt 28, 16 Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. 17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. 18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. 19 Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, 20 apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Sur la montagne

L’endroit du rendez-vous est précis : les disciples se rendent sur la montagne indiquée par Jésus. L’élément est nouveau : il n’était question que de Galilée lors de la manifestation du Ressuscité aux femmes (28,1-10). À maintes reprises, l’évangéliste a usé de l’expression la montagne (o oros, ὁ ὄρος) lors de moments clés de son évangile liés à la révélation : au discours sur la montagne (5,1 ;8,1), avant la marche sur la mer (14,23) et la multiplication des pains (15,29), et lors de la Transfiguration (17,1.9).

Le terme grec oros pourrait renvoyer à une colline ou un mont comme celui des Oliviers (o oros tôn elaïôn, ὁ ὄρος τῶν ἐλαιῶν). Cependant, cette montagne récurrente possède chez Mathieu un caractère symbolique. Elle évoque, la manifestation de Dieu à Moïse et aux anciens sur le mont Sinaï lors du don de la Loi (Ex 19) et de l’instauration de l’Alliance (Ex 24).

Comme à son habitude, Matthieu nous renvoie à l’Écriture. Jésus apparaît du haut d’une montagne et les disciples se prosternent. Ces termes montagne et prosterner se retrouvent dans le livre de l’Exode, lors de l’instauration de l’Alliance entre Dieu et les fils d’Israël. Il est écrit à cette occasion : Ex 24,1 Le Seigneur avait dit à Moïse : « Monte vers le Seigneur, toi, Aaron, Nadav et Avihou, ainsi que soixante-dix des anciens d’Israël, et vous vous prosternerez de loin. Un tel contexte permet à Matthieu d’attribuer à cette dernière manifestation un rôle de révélation.

Moïse, Rembrandt, 1660

Alliance et don

Comme pour le livre de l’Exode , la Révélation du Seigneur ressuscité est associée au don d’une parole à transmettre et à enseigner : Ex 24, 12 Le Seigneur dit à Moïse : « Monte vers moi sur la montagne et reste là ; je vais te donner les tables de pierre, la loi et les commandements que j’ai écrits pour qu’on les enseigne. » Ainsi, à Moïse et aux fils d’Israël, libérés du joug égyptien, Dieu avait donné ses dix paroles et ses commandements, don conclu par son l’Alliance.

Le récit de Matthieu reprend ce même schéma : la manifestation du Christ ressuscité s’inscrit dans cette Alliance nouvelle annoncée lors de la Cène et scellée à la croix : 26, 28 car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés. Désormais, le Christ glorifié offre sa Parole aux apôtres comme aux futurs disciples, qui sont, en premier lieu, les membres de la communauté chrétienne auditrice de l’Évangile. Ils deviennent ainsi les dépositaires de cette Bonne Nouvelle du Christ Ressuscité, nouveau Moïse et nouvelle table de la Loi.

Doutes en Galilée

La manifestation du Christ fait donc écho à la théophanie du Sinaï (Ex 19-24). Cependant, contrairement à la découverte du tombeau vide de son évangile, il n’est fait mention ni d’éclair, ni de tremblement de terre, ni de vêtement éblouissant. La scène serait plutôt banale, s’il n’y avait la prosternation des disciples, exprimant la reconnaissance d’une présence divine. La résurrection chez Matthieu n’est pas de l’ordre du descriptible, ni de l’événement qui s’imposerait d’emblée. La présence du Ressuscité suscite à la fois adoration et doutes : elle ne s’impose pas et demande à être accueilli dans la foi. Celle-ci est éclairée par la parole de Jésus.

Les doutes de certains disciples soulignent une incompréhension. Ils sont en présence du ressuscité, ils le voient de leurs yeux et, cependant, des doutes s’élèvent dans le groupe des apôtres. Ces suspicions ne concernent pas tant le fait que Jésus est ressuscité – puisqu’ils le voient et se prosternent – mais l’identité divine du Ressuscité. C’est bien en cela que les paroles de Jésus viennent authentifier et révéler sa souveraineté divine et l’avènement du temps eschatologique.

Duccio di Buoninsegna, Maesta (détail), 1308

Résurrection et Révélation

Si l’on veut rendre compte de ce passage, il nous faut d’abord nous attarder sur sa construction. Il est encadré par deux versets faisant mention de la divinité eschatologique de Jésus. Le Ressuscité est celui qui a tout pouvoir au ciel et sur terre, faisant le lien entre l’espace divin et le monde terrestre. (v.18b) Mais il est aussi celui qui accompagne ses disciples jusqu’à la fin du monde, (v.20b) expression qui fait écho au jugement dernier.

  • « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
    • 19 Allez ! De toutes les nations faites des disciples :
      • baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
    • 20 apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé.
  • Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Ainsi la manifestation de Jésus à ses disciples n’est de l’ordre d’une apparition miraculeuse. Elle représente la révélation de l’identité divine et eschatologique de Jésus. Comme le Fils de l’homme, le Christ ressuscité gouverne l’espace et le temps, à la manière du Créateur qui confirme l’instauration d’une ère messianique. C’est dans ce temps et cet espace que les apôtres reçoivent leur nouveau commandement et leur mission. Trois impératifs se succèdent : allez, baptisez-les, apprenez-leur. Ces impératifs représentent, à eux trois, la mission des apôtres. L’impératif lié au baptême reprend également cette révélation divine et trinitaire de Jésus, le Fils du Père. Cette profession de foi est centrale pour les disciples.

Jusqu’à la fin du monde

Jésus Ressuscité est ici investi du pouvoir divin et endosse le vêtement du Messie eschatologique : je suis avec vous jusqu’à la fin du monde ou plus littéralement : la fin des âges, ou des temps. La résurrection pour Matthieu marque donc la glorification du Christ et l’instauration d’une nouvelle ère, messianique, soulignée par la mention de l’Esprit Saint. Dieu demeure à jamais par son Fils à ses disciples. Ce temps nouveau attend son parachèvement. La fin (suntéléia, συντέλεια) ne signifie pas la destruction du monde, mais sa finalité, son accomplissement.

Il s’agit pour l’évangéliste de répondre aux impatiences et aux doutes de ses communautés. Si Jésus est bien venu, s’il a manifesté sa victoire sur le Mal lors de sa Passion et sa Résurrection, les communautés judéo-chrétiennes de Matthieu ne voient pas de victoire pour eux. Ostracisés, méprisés par d’autres membres de communautés juives, la messianité de Jésus ne semble pas agir, immédiatement, en leur faveur. Avec la mention d’une fin des temps, Matthieu rappelle à ses condisciples que le Christ est, et demeure, le juge eschatologique revêtu de l’autorité divine, et rappelle l’essence même de la Bonne Nouvelle.

Jan van der Elburcht, 1560

Disciples, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit

La Révélation du Christ Ressuscité est donc aussi celle du temps messianique dans lequel s’inscrit la mission des apôtres et disciples. Le premier impératif, allez, est associé à la mission de faire, de créer, de susciter, des disciples (v.19a) qui apprendront à observer les paroles de Jésus (v.20a). La glorification de Jésus auprès du Père, qui authentifie sa souveraineté, vient créer un lien nouveau entre les hommes : les faire naître à la condition de disciples de Jésus. Mais l’identité chrétienne ne peut se résumer à cet aspect. Pour Matthieu, les apôtres ont pour mission de les faire naître au mystère du Christ en les plongeant dans l’amour trinitaire et divin. L’expression baptiser au nom de n’est pas une simple formule rituelle. La triade Père, Fils et Saint Esprit ne se trouve qu’en trois endroits de l’Évangile selon Matthieu : lors de l’annonce fait à Joseph (1,18-20), à la théophanie du Jourdain (3,16-17) et à la passion (27,46-50). L’identité nouvelle du disciple doit ainsi se nourrir et se conformer à cette Révélation du Fils, depuis l’incarnation jusqu’à la Croix, dans l’abaissement et le souci des petits qui a ponctué l’ensemble de cet évangile.

Allez, baptisez puis apprenez-leur

Plus que l’enseignement, le baptême dans le mystère du Christ constitue l’identité chrétienne. Chez Matthieu, le disciple est celui qui reçoit la vie de son Seigneur. Le baptême n’est pas présenté comme une récompense obtenue en raison d’une fidélité : il en est le préalable pour la vie chrétienne. Ainsi, il nous faut tenir compte de l’ordonnancement de ces trois impératifs : allez, baptisez, apprenez.

La parole de Jésus ressuscité, donnée aux apôtres, est destinée à être proclamée : Allez de toutes les nations. Ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas de conquérir les nations pour faire, de leur population, des disciples. L’impératif de Jésus oblige d’abord ses apôtres à quitter leur Galilée, pour émigrer vers les nations, inconnues d’eux, afin d’annoncer la Bonne Nouvelle du Christ. Il est fort probable que, dans le contexte judéo-chrétien de Matthieu, cette mission concerne, en premier lieu, les juifs des synagogues dispersées du monde méditerranéen, et moindrement, les païens, comme nous le rappelait la mission donnée aux Douze : Mt 10, 6 Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Mais l’un n’empêche pas l’autre.

Quoiqu’il en soit, l’impératif de Jésus invite les apôtres à, une fois encore, tout quitter pour devenir pêcheurs d’hommes (4,18-22). Le rendez-vous en Galilée les rappelle à leur identité de disciple, comme la montagne évoque l’enseignement de Jésus (Mt 5-7) qu’il vivra jusqu’à la croix. Ainsi, la mission des apôtres est, en premier lieu, d’être les médiateurs d’une rencontre avec le Christ, comme eux-mêmes en ont fait l’expérience. De cette rencontre, surgira, peut-être, des disciples accueillant la Bonne Nouvelle jusqu’à demander ce baptême qui les unira à Lui et à la communauté.

Les derniers mots de l’Évangile permettent d’entendre cette révélation du Christ Ressuscité, non comme un abandon, mais au contraire comme une vie avec le Christ : je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. C’est, ici-bas, dans la vie ecclésiale de ses apôtres et disciples que le Christ continue à se rendre présent. Matthieu affirme la présence toujours actuelle, vivante et vivifiante du Christ à son Église.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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